J’attends le moment où…

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crédit photo : inconnu

Année 2118.On ne parle plus de saisons depuis longtemps. Il pleut. Le jour. La nuit. Quelquefois, des espaces entre les nuages laissent apparaître une éclaircie qui redresse nos corps et nous fait lever les yeux. Le reste du temps la grisaille est partout. Certains jours, l’humidité de l’air se mêle aux bourrasques de vent.  Les arbres se balancent, les bateaux tanguent, les maisons sur pilotis, aussi. Le reste du temps le climat ne varie pas. Les pluies rythment la monotonie du temps.

Je me souviens quand j’étais môme, avec les enfants du quartier, on inventait des jeux : danse de la pluie sous les cascades, sauts par-dessus les rus qui sinuent tout autour de la ville, courses à fleur des méandres,  plongeons dans les ravines et bien sûr sauter dans les flaques qui stagnent sur les toits-terrasse. C’était notre jeu de prédilection. On s’imaginait alors le monde d’avant. Chaque flaque pouvait nous mener de l’autre côté de la terre, là où il ne pleut jamais. On rêvait le monde quand le soleil nourrissait la terre de sa lumière. Depuis, il parait que là bas, le soleil brûle autant que le feu, mais personne n’en sait rien, personne n’a été voir, tout du moins personne n’en est jamais revenu depuis l’expédition de 2058. À cette époque le danger avait déjà bouleversé le monde. Les trois quart de la population, la majorité de la flore et de la faune avaient péri. Le climat oscillait entre chaos et extinction et nous menaçait sans cesse. À présent, il pleut.

Moi, je suis né en 2102, le soleil je ne l’ai jamais vu, ni jamais senti effleurer ma peau.  Maintenant que j’ai grandi, je ne saute plus dans les flaques. Il faut bien bosser. On n’est pas si nombreux à pouvoir le faire. Consolider les fondations des habitations, construire, ériger la cité au-dessus de l’eau. Alors de temps à autre, sur le chemin qui mène au chantier de la ville, je m’arrête et je regarde les mômes sur les toits-terrasse. Et j’attends. J’attends le moment où ils sauteront dans les flaques. J’écoute leurs éclats de rire. Ce n’est pas le soleil, bien sûr mais ça colore et réchauffe quand même la Terre et le cœur des Hommes.

 

Sur une idée de La Licorne, le jeu consiste à écrire un texte en imaginant que nous sommes en 2118. Facile ? Oui, enfin, presque…  parce qu’aucun adjectif qualificatif ne doit figurer dans le texte.

Pas certaine d’y être arrivée… A l’occasion, à vous de le me dire 🙂

 

37 réflexions sur “J’attends le moment où…

  1. J’y étais et la force grise de ton texte sans adjectifs m’a touchée. Ai-je aimé mon présent de 2018 ou détester le tien de 2118?
    Ton texte me fait penser à un lever de soleil dans un jour sombre.
    Tout est gris, triste, fort et là, une percée chaude change tout. L’espoir dans ton texte, le soleil dans le ciel sombre.
    Merci pour ces mots et ces pensées.
    A très bientôt.
    Val

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    1. Mes textes d’anticipation sont généralement sombres. Ils évoquent des futurs plausibles et sans doute est-ce une façon d’exprimer ma colère contre la bêtise humaine… et malheureusement, il y a de quoi dire…
      Merci Val, de t’y être arrêtée.

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  2. J’ai pris mon temps avant de faire mon commentaire, parce que je n’arrivais pas à exprimer ce que ton texte m’inspirait. Et puis là, tout à l’heure, je me suis endormie et j’ai rêvé de ton personnage, ambiance de bd, une femme aux cheveux longs, images en noir et blanc marchant dans la rue. Tu sais si bien écrire l’intériorité, la pensée que je suis rentrée dans la peau de la peau de ton personnage jusqu’à en rêver.

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  3. Outre le défi, à proprement parler, qui consistait donc à écrire un texte cohérent tout en se privant d’adjectifs tout au long du récit, ce que j’admire surtout dans cette contribution, c’est ton incursion inédite dans le registre de la science-fiction anticipative, des prédictions à l’échelle d’un siècle, domaine où je ne t’attendais pas vraiment, et où tu excelles néanmoins dans des proportions qui ravissent l’amateur du genre que je suis… Même s’il faut bien admettre que les conditions climatiques actuelles contribuent plutôt pas mal à s’imaginer un monde où le soleil brillerait tout au plus entre deux timides éclaircies;-) Bonne continuation à toi, et plein de succès pour ton roman à paraître, de gros bisous et à très bientôt, ici ou ailleurs:-)

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      1. Peu de textes publiés dans ce registre-là, bien que tu apprécies beaucoup le genre, voilà donc probablement la principale explication au fait d’avoir dû attendre ce soir pour découvrir tes immenses talents en la matière:-) M’en voilà d’autant plus ravi:-)

        De rien, donc, chère Laurence, et comme personne ici-bas n’aime vraiment écrire pour les murs, surtout, si le coeur t’en dit, n’hésite pas non plus à donner signe de vie de temps à autres du côté des réseaux sociaux ; un « j’aime » ou un commentaire de ta part pour tout ce que j’y poste, ça me ferait bien plaisir;-):-) Et puisque l’amitié est aussi affaire de réciprocité, je t’assure que je n’oublie pour rien au monde ton judicieux conseil de me remettre à rédiger des écrits plus intemporels que de simples commentaires de l’actualité, donc autant de contenus que tu prendras davantage de plaisir à lire, a fortiori en ces temps où j’ai lu une multitude de livres si intéressants qu’ils mériteraient d’être mieux connus et appréciés du grand public ; tant et si bien que le jour où je publierai mon appréciation de ton petit dernier, petit-frère de Lila, mon avis sera d’autant plus crédible;-):-)

        Belle fin de soirée, une fois encore, et à bientôt:-)

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  4. Les adjectifs ou les adverbes expriment des sentiments. Vous les avez évité. Or les sens ne captent que des évènements ou des accidents cosmiques, sinon les adjectifs sont faux. Votre texte relate une fiction cosmique, plausible. De ce fait vous éveillez la sensibilité du lecteur par suggestion. Le résultat est analogue au rêve, donc à l’illusion, proche de la psychologie de foule, par le sujet même de votre texte.
    J’aime le rêve et la folie où tout est permis, même une vie sans soleil ? Peut-on vivre sans rêver ?

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  5. Cela retire de la chair au texte, ce qui est tout à fait adapté à ce genre de récit et le rend plus fort. Mais quel exercice exigeant!
    Une blogueuse qui va être bientôt éditée raconte qu’à la correction, l’éditeur lui a demandé d’expurger de son roman un maximum d’adverbes: une vraie souffrance! 🙂

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    1. Oui, l’exercice est exigeant. J’ai sué plus que je ne l’aurais cru 🙂 Et c’est vrai aussi que les adverbes alourdissent souvent un texte… cela dit, tout cela était aussi phénomène de société ou de mode, va savoir demain ce que les éditeurs exigeront pour qu’un roman colle mieux à l’époque…

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      1. C’est vrai pour la question de mode mais peut-être que l’emploi parcimonieux d’adjectifs ou d’adverbes correspond au thème d’un texte ou d’un roman. Je me demande par exemple ce que cela donnerait sur un souvenir d’enfance heureuse, en plein été (là, il me semble qu’on a envie d’adjectifs et de « broderies » 🙂 ). Et puis aussi est-ce que ça ne demande pas à l’auteur de mieux choisir ses mots, je veux dire de puiser dans un vocabulaire plus précis?

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      2. Je suis d’accord, et se remettre en question quand on écrit me semble la première des leçons à tirer après avoir écrit un premier jet. Sur mon dernier roman, j’ai supprimé une cinquantaine de pages, retravaillé la forme un nombre indéfini et je n’ai pas encore fini d’y revenir ! 🙂

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  6. Je vous retourne le compliment. c’est absolument magnifique…Il reste deux adjectifs (trois si l’on compte le participe passé « provoqués », les autres sont « dangereux » et « climatiques ».)
    alors pourquoi pas « à cette époque le danger faisait déjà son lit » et « les remous du climat »?
    bien à vous.

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