Eté 2118. Nous vivons sous terre, dans des espaces semblables à des villages. On y trouve des parvis, des maisons, des boutiques, des restaurants, des rues où circulent piétons et cyclistes. Des hommes, des femmes, des enfants y construisent notre présent depuis trois générations. C’est un jour de l’été et dans le silence d’avant le départ, je respire encore l’air du dedans. Sur l’esplanade, la foule afflue et chaque année le nombre de personnes croît. Dans cinquante et une secondes le compte à rebours sera lancé. Je vérifie mes capteurs. Un signe du maître de la tour me confirme qu’ils fonctionnent. Je ferme les yeux et pendant un instant, l’ambiance est au recueillement. Le regard de la foule est braqué sur moi. Les pulsations de mon cœur tambourinent comme un avant-goût de ce que je vais réaliser aujourd’hui. Je ne dois pas rater le départ.
Le mouvement qui suit celui-ci est semblable à une vague qui déferle en gage de soutien. Les mains frappent les tambours, la foule en liesse ne forme plus qu’un avec moi. Je suis né pour courir. Alors je m’élance. Des foulées qui martèlent le sol et projette du sable et des cailloux autour de moi. Je puise dans mes muscles la propulsion qui m’entraîne loin, au-delà des entrailles de la terre. C’est un jour sans nuage. Le soleil éclaire le ciel de Tolosa. À l’horizon, les Pyrénées s’imposent. Leur présence et la beauté qui émanent d’elles me coupe un instant le souffle. La nature a repris ses droits. Luxuriance et profusion s’affichent partout, même si, de-ci, delà quelques bâtisses persistent. Sur les écrans de télétransmission la population suit l’évolution de ma course. Je connais le sentiment qui les anime. Ce désir d’être mes yeux dans le monde d’aujourd’hui. Mon regard capte ce qui m’entoure, détaille les arbres, les collines, l’éclat des boutons d’or dans les prairies, les fleurs des pissenlits dans le vent, le bruissement des cours d’eau. La lumière qui joue entre les branches des arbres, l’ombre des peupliers. Le vol des oiseaux dans le ciel. Toute quintessence.
Mon souffle est à la mesure de ma mission. Je cours et, une à une, mes foulées s’imprègnent de l’atmosphère. Je suis né pour courir. Loin et vite. Là, où personne ne va plus. Je cours pour raconter les couleurs. Le monde extérieur. J’emmène mon peuple en voyage. Dans la vibration de mes pas sur la terre, dans l’air qu’aspirent mes poumons, dans mes mains qui cueille un fruit, sur mes lèvres qui le goûte, dans mes yeux qui parcourent les ondulations du monde. Je suis comme un artiste-peintre dont l’œuvre réconcilie la terre et les hommes et peu importe si les radiations brûlent aussi mes cellules, si mon existence est à l’image d’un éphémère. Je suis né pour vivre le monde.
Un texte en réponse à deux ateliers d’écriture distincts. Chez Estelle, A vos claviers#4 : écrire un texte fictif et jouer la carte de quelques données réelles éparpillées dans l’histoire. Donc les curieux auront le loisir de connaître mon âge, la ville proche où j’habite, mon métier. Chez La licorne, le défi consiste à écrire un texte en imaginant que nous sommes en 2118 sans y placer un seul adjectif qualificatif.
Photo : Dev Dodia sur Unsplash
Es-tu artiste peintre près de Toulouse ? Par contre ton année de naissance je ne sais pas !!
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Oui c’est bien ça !
Par contre ce n’est pas l’année de naissance mais l’âge que tu peux trouver dans le texte, même s’il n’est pas dit explicitement. 🙂
Merci de ta lecture !
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Quel souffle dans ton texte ….
Mince a l’inverse des autres commentaires, je trouve la fin très triste et pessimiste …
Sans transition, tu es artiste-peintre ?
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Eh bien je crois que les deux interprétations sont plausibles…
Oui, tu as bien lu 🙂 Si tu veux pousser la curiosité : https://couleursouslatitudes.wordpress.com/
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vivre et mourir, l’essentiel…
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Cette course nous emmène dans un voyage, à travers la vie, le monde. Chacun ses talents en effet. Et le tien réside dans cette faculté à créer un monde qui n’existe pas et qui malgré reste teinté d’espoir.
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Merci pour le beau compliment, Marie !
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Ton texte fonctionne au poil. Sur une idée toute simple, tu arrives à embarquer intellectuellement ton lecteur assez loin. Comme quoi, écrire de l’anticipation, ce n’est pas spécialement dénicher des idées abracadabrantes… J’ai beaucoup aimé. Merci pour ton partage.
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Je suis bien d’accord avec toi. Raconter le futur n’a pas nécessairement besoin de grand chose pour exister 🙂
Merci beaucoup pour ton commentaire. Ravie que tu aies apprécié ce texte 🙂
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Avec ton personnage, je respire… A pleins poumons… Merci.
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Merci à toi, Sophie !
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La préservation de la nature passe par l’enterrement de l’humanité, une sorte de Lascaux à l’envers. Avec ou sans radiations, j’adore l’idée et l’optimisme qu’elle transporte. Je ne suis pas tout à fait sûr que l’humanité, même enterrée, puisse libérer la surface. Belle inspiration, Laurence.
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Parfois j’ai envie de croire qu’il reste en l’humanité, un peu d’espérance …
Merci beaucoup Gilles ! 🙂
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J’aime beaucoup les textes d’anticipation et en particulier celui-ci qui est porteur d’optimisme malgré tout… Merci pour cette participation !
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Difficile de parler de soi… là, en mélangeant les genres, je me suis sentie moins exposée…
Merci Estelle !
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C’était le but du défi, se dévoiler sans trop en dire pour autant…
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Un texte superbe, pour une photo sublime. Et des consignes bien corsées … Bravo.
Loïc
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Merci Loïc !
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Bon jour,
Le don de soi … une aventure en mésaventure … terrien sur terre une exception pour la communauté … Un texte d’anticipation peut -être à notre porte …
Max-Louis
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Merci Max-Louis 🙂
Il est vrai que je n’ai pas besoin de puiser loin pour inventer un futur plausible
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Un récit haletant, une ode à la vie envers et contre tout même si elle est éphémère.
Et comme je suis curieuse j’ai trouvé les indices (que je ne révèlerai pas pour garder le plaisir de les découvrir à tes lecteurs:) )
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En fait, c’est un peu grâce à toi que ce texte a vu le jour. Sur mon texte précédent tu disais qu’il serait plus difficile d’évoquer l’été et les souvenirs d’enfance heureuse qui y sont liés sans adjectifs. ça m’a donné envie d’essayer. Je ne suis pas arrivée à écrire ce que je voulais mais ce texte reflète quand même une idée d’été 🙂
Merci almanito !
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Superbe! Le manque d’adjectif est tres efficace pour l’energie du coureur. Sinon, il s’arrete pour manger un fruit irradie?
J’ai envie de lui dire non! Non! Ne fais pas ca!
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🙂 Si tu t’es laissée emporter par ce que fait le coureur c’est que le texte fonctionne plutôt bien. Merci !
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oui il fonctionne à merveille, laurence! et je suis une habituée de l’anticipation 🙂
j’ai une question que je t’envoie par mail 😉
bisous!
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Merci beaucoup Maly, ça me fait très plaisir de savoir que tu apprécie ce texte, d’autant plus si tu as l’habitude d’en lire. 🙂
Bisous itou !
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