Tout n’avait rien et, à l’opposé, Rien avait tout. Ils vivaient chacun sur leur parallèle, une ligne droite jusqu’à l’horizon. Dans ce pays-là on ne faisait pas dans la demi-mesure. Comme celui d’un fleuve intarissable pour l’un et aride pour l’autre, ils suivaient leur cours.
Dès le printemps Rien se mettait au vert, tandis que Tout trimait sous le soleil. Et à l’automne Rien récoltait l’abondance et Tout crevait de faim. La fable est hélas, classique. Ainsi passaient, dans la plus totale indifférence du monde, les jours et les nuits. Sans doute en aurait-il été de même jusqu’à la fin de cette histoire si un matin de juin, n’avait surgi sur la ligne parallèle de Tout, un pingouin endimanché d’arc-en-ciel.
— Hello, mon bon, dit le pingouin. Je suis à la recherche de ma chaussure, ne l’aurais-tu point aperçu ?
— Non, ici il n’y a jamais rien.
— Vraiment ? Alors que fais-tu donc sur cette parallèle alors ?
— J’habite ici.
— Hum, dit le pingouin d’un ton réfléchi. Si tu y habites, tu es bien conscient qu’il ne peut n’y avoir rien.
— Ben c’est pourtant le cas.
— Je vois, dis le pingouin qui ne voyait rien du tout. Et comment t’appelles-tu l’ami ?
— Tout
— Eh bien voilà un nom qui sonne clair comme l’eau de roche.
— Ah, vous croyez ? demanda Tout, dubitatif
— Oui, ça sonne comme une évidence ! renchérit le pingouin arc-en-ciel. Alors dis-moi, Tout, selon toi où puis-je chercher ma chaussure volage, si ce n’est chez toi ?
— Je crois que vous devriez aller voir Rien. Lui a tout.
— Ah ! Ah ! s’esclaffa le pingouin, hilare. C’est une blague ?
—Bien sûr que non. Je ne plaisante jamais.
— Eh bien c’est malheureux, grommela l’oiseau. Mon dieu, mais quel monde absurde. Je débarque de l’arctique à la recherche de ma chaussure nomade, et j’atterris devant deux parallèles plus divergents que jamais. Bon sang de bon soir, sous quelle plume de quel écrivaillon suis-je tombé aujourd’hui ?
—Hé, ho, le volatile ! Tu te crois plus malin que les autres à chercher une chaussure unique ? se fâcha Tout.
— Mais mon bon, nous sommes tous unique. Toi, moi, ma chaussure, ton voisin, là en face. Faudrait peut-être tenter un petit mélange des genres pour unifier tout ça.
— Unifier quoi ?
— Vos parallèles à ton copain et à toi.
— Ce n’est pas mon copain. Je t’ai dit que je n’avais rien.
— Oui, justement.
— Quoi ?
— Non, mais franchement qui m’a pondu un empoté pareil ! Eh bien tu as Rien et tu ne le sais même pas.
— Je n’ai pas Rien, je n’ai rien, la nuance est pourtant claire.
— Ça mon coco, ça reste à voir
— Je te l’ai dit, y a rien à voir de ce côté-ci
— Je vois bien un couillon, moi.
— Ah ? Où ça ?
— Devant moi, bêta !
— Bon ça suffit, t’as rien à faire ici. Va donc chercher ta chaussure chez Rien. Lui a tout.
— J’y vais, j’y vais de ce pas. Et toi, tu m’accompagnes.
Et notre pingouin d’attraper fermement le bras de Tout qui, malgré ses protestations, se retrouva en un rien de temps, sur l’autre parallèle, face à Rien qui n’en croyait pas ses yeux. Tout qui n’avait rien (enfin si, le pingouin était toujours accroché à son bras mais il tentait de l’ignorer) fit donc face à Rien qui avait tout (mais on ne voyait rien qui l’attestait non plus). Autant vous dire que le face à face fut accueilli par un silence des plus éloquents.
Le parallèle de Rien était d’une tristesse à faire peur. Quoi qu’en dise son voisin, ça vibrait d’un tout à la limite du contraire. Leur différence était pourtant flagrante. La seule chose qui semblait les rapprocher était la couleur grise des pavés qui couvrait le sol de chez l’un et de chez l’autre. Le pingouin qui aimait se mêler de choses qui ne le regardait pas, dévisagea les deux voisins avec l’idée bien précise de bousculer les codes de ce monde (et plus sûrement d’en finir avec cette histoire). Faudrait creuser un peu pour voir où tout ça nous mène se dit-il alors.
— Dites les gars, y a quoi sous les pavés ? demanda alors notre oiseau coloré.
— Ben, la plage répondirent-il d’une seule voix.
— La plage ? Voyez-vous ça ! dit-il en dégageant un premier pavé.
Sous le regard médusé de Tout et Rien, un deuxième, puis un troisième suivit. Et ainsi de suite, les pavés quittèrent leur place, perdirent leur consistance, se mêlèrent au sable qui peu à peu prenait de l’importance, et donnait aux deux parallèles l’allure d’un grand littoral où les vagues battaient le sable. D’une main énergique, notre pingouin poussa Tout et Rien sur les lieux.
— Allez, les gars, à vous de jouer maintenant. Construisez des châteaux, créez votre nouveau monde. Petits veinards c’est le solstice de l’été aujourd’hui. Vous avez plus de temps qu’il n’en faut pour réussir.
—Tu ne restes pas ? s’affola Tout
— Ne t’inquiète pas. Tu es Tout et son contraire se tient jusqu’à côté de toi. Crois-moi, il n’en faut pas plus pour créer une histoire. Moi, j’ai une chaussure qui m’attend quelque part. Et comme je te l’ai dit, tout ce qui est unique est précieux, l’ami. Tâchez de ne pas l’oublier.
En juin l’agenda ironique prend ses quartiers chez Carnets paresseux avec Tout et son contraire saupoudré de quelques mots à placer ici et là. J’en ai retenu quatre : pingouin, vert, soleil, chaussure.
que dire, sinon que j’aime beaucoup, voilà tout (et ça n’est pas rien) ?
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Merci Carnets. Contente que ça te plaise !
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Jolie fable, jolie peinture, bel esprit et beau sourire! Merci Laurence!
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Merci à toi, Clémentine !
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Très belle fable qui met le sourire aux lèvres! Je rêve de le rencontrer maintenant ce sage et merveilleux pingouin endimanché d’arc-en-ciel!
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Si le sourire vient à la lecture, c’est parfait ! Merci Cardamone 🙂
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Un pingouin mi-chaussė osant secouer 2 parallèles un peu trop carrés, mes neurones en ont tous fini à l’horizontale 😊
Laurence, Je me dis que ce pingouin penseur a vocation à revenir nous remettre à l’endroit souvent !
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Merci une patte !! 🙂
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Que j’aime le côté surréaliste de ce texte et les jeux de mots avec tout et rien !
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Merci ! Il y avait de quoi inventer avec un thème pareil 🙂
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Bon jour,
J’aurais bien vu un grain de sable se mêler de la conversation et une vague boire la … tasse… En fait, le tour de force de cette histoire est de réunir des parallèles qui par définition ne peuvent se rejoindre … quand je pense que je suis passé (très peu de temps) à l’école dont l’instituteur nous taraudait ces principes fondamentaux … En tout état de cause rien n’est impossible … d’autant qu’un pingouin qui n’a pas sa langue dans sa poche déploie une diplomatie toute particulière avec ce rien d’autorité qui ne laisse pas de glace et apporte une certaine morale quand les contraires comme deux aimants s’attirent quand ils sont dans la « compréhension » de leur opposition … (à ne pas confondre avec les contraires satyres) … Bref, il n’a pas réussi sa mission : chaussure, mais n’est-elle pas le faire-valoir ? Sûrement. Et je soupçonne que ce pingouin soit unipatte, ce qui en tout n’est pas rien …
En tout cas un texte qui ne laisse pas indifférent 🙂
Max-Louis
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Bien vu, Max-Louis, pour le grain de sable et la vague ! 🙂
Avec ce genre d’histoire, tout est possible, ça donne l’avantage à l’inspiration de dire et faire ce que l’on veut, comme l’on veut. Cela dit, donner du sens à un récit qui au départ n’en a pas … ce n’est pas gagné ! 😉
Merci Max-Louis, d’y trouver malgré tout, matière à …
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Bonjour, bravo pour ce texte magnifique et quel bel arc-en-ciel… Très beau samedi…
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Merci beaucoup ! J’avoue avoir pensé à toi quand mon pingouin arc-en-ciel s’ est pointé chez Tout et Rien ! ☺
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🙂 Très belle soirée fidèle et talentueuse planteuse d’arc-en-ciel 🙂
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Merci. Belle soirée également lesfaitsplumes ! 🙂
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Sympa cette petite ballade en terrain étrange. Ca dépayse un peu. J’espère qu’il a retrouvé sa chaussure !
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Avec l’étrange tout (et son contraire) est possible. 🙂
Merci !
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Farfelu, drôle et poétique ce pingouin arc-en-ciel tout droit sorti de la planète du Petit Prince.
J’aime la conclusion de la fable, monsieur le pingouin devrait aller faire un tour à l’Elysée… 😉
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Oui, la suggestion me parait judicieuse ! 🙂
Merci Alma !
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Un petit exercice de style qui d’un rien fait tout. 😊
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🙂 Presque ! (j’ai sué pour trouver à jouer sur ce thème)
Merci JM !
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C’est vrai que ça n’a l’air de rien, mais quelle gymnastique !
Merci pour ce joli partage !
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Merci à toi, d’apprécier ! 🙂
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Bravo Laurence!
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Merci Barbara !
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