
Ce soir, comme tous les soirs après le travail, Louise a pris l’autobus et s’est assise au fond, à droite. C’est une place qu’elle affectionne. Elle aimerait pouvoir arriver à dormir, récupérer un peu de la journée avant le rush du soir. Mais le bus est bondé. Tant d’existences dans un espace aussi réduit, ça lui donne le tournis. Surtout lorsqu’ils parlent fort au téléphone. Ça la sidère ce manque de discrétion assumé.
Dans le grincement des portes qui s’ouvrent et se referment, les bruits de la ville au dehors résonnent comme une symphonie désaccordée. Les rues défilent aussi vite que les écrans publicitaires en quête de clients. Sans surprise, le culte de la consommation s’affiche partout.
Louise se voudrait au-dessus du monde, en suspension légère ; flotter dans l’air calme.
Elle se trouve entre deux mouvements. Elle pense aux enfants à récupérer à la garderie de l’école, à leurs doigts collants et leurs bises mouillées et puis superviser les leçons mal apprises, supporter leurs cris dans leurs jeux, préparer le dîner, tenir bon devant leurs suppliques enfantines quand ils veulent regarder la TV après 20h. Ne pas oublier de mettre une machine en route. Plier le linge de l’avant-veille qui traine encore dans la panière, faire le lit qu’elle n’a pas eu le temps de faire ce matin. Demander à Vincent de réparer l’aspirateur ce week-end, ne pas s’arrêter sur son sourire fatigué, et l’usure prématurée de son corps malmené par les chantiers.
Louise pense à tout ce qui l’attend à la fin de ce trajet et puis elle ferme les yeux. Ça n’occulte pas le brouhaha incessant mais elle s’en accommode. Elle pourrait même y trouver l’attente délicate, presque monacale. Celle où elle erre sans lien, où elle ne compromet rien. Où l’existence trouve sens dans les plus petites secondes qu’elle vit.
Et puis elle se souvient. Elle se souvient de ce petit miracle renouvelé qui additionne toutes les années passées. Ce petit miracle où, étendus dans le lit, malgré les soucis d’un quotidien qui usent les rêves,Vincent se tourne vers elle et elle vers lui. Trop épuisés pour s’accorder une pause charnelle, emplis d’inquiétudes pour l’avenir. Ce moment bordé de silence où ils s’enlacent et s’endorment blottis dans la chaleur de l’autre.
Les plumes d’Asphodèle chez Emilie. A partir de l’interjection CHUT, douze mots à placer : SILENCE BRUIT DOIGT SYMPHONIE DISCRETION CALME MOUCHARDER MONACAL MIRACLE CULTE CRI COMPROMETTRE. Ai-je besoin de préciser que comme d’habitude j’ai fait l’impasse sur un mot ? 🙂 Les autres textes à lire ICI
Photo ©Travis Huggett via pinterest.
Tu as un talent pour donner vie à ce qui se trame à l’intérieur des êtres, leurs émotions, leurs sentiments. Face a la course folle du monde, il y a l’instant, de paix, qui nous transporte loin de ce monde et nous donne l’énergie dont nous avons besoin pour y faire face.
Très joli Laurence. merci
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Merci à toi Marie, ton commentaire me fait très plaisir
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Hello Laurence Délis
Encore un délice comme tu sais si bien l’écrire 😉
Il suffit d’un rien pour redonner du courage, de la joie, et de la paix au coeur.
Qui n’a pas connu ces moments quand on est une Maman qui travaille…
Et toutes ces réflexions intérieures, dans l’observation silencieuse des « gens », sont souvent un rempart à toutes ces « agressions » du quotidien…
J’ai beaucoup aimé ton cheminement qui a été longtemps le mien 😉
Belle semaine et gros bisous
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Merci Soene, je crois que beaucoup de personnes peuvent se reconnaître dans ce quotidien-là 🙂
Bisous itou
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Il y a beaucoup de choses dans ce texte. Il y a la bise des enfants, ça donne de l’énergie ça, il y a la nuit passée dans les bras de son homme qui permet de recharger les piles.
Éreintée, la publicité d’un monde fou désespère. Toutes ces réclames de biens et de services qu’on ne peut se payer gruge le peu force qu’il nous reste. Plutôt que de vendre du rêve on tue les rêves.
Du coup, j’imaginais toutes les Louise qui n’ont ni les bras réconfortants de leur homme, ni les bisous des enfants. Il faut alors trouver de la force ailleurs.
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Il y a effectivement tout ça dans ce texte et beaucoup d’autres choses que j’aurais pu dire tant il y a dire. Et dire encore pour tous ceux qui sont seuls, combien c’est un peu plus difficile chaque jour…
Merci pour la pertinence de votre regard, GL.
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Le quotidien mis superbement en scène. On s’y retrouve tous !
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Merci Lydia 🙂
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J’aie beaucoup ce mélange de réalisme et de douceur ; tu aimes vraiment tes personnages 🙂
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oups, j’aime, pas j’aie !
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C’est très juste, Carnets, j’ai une certaine tendresse pour eux. 🙂
Merci beaucoup.
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Bon jour,
Un texte sur le quotidien et tout le sensible qui en ressort … élever des enfants est une longue marche, avec parfois des parcours d’obstacles … la vraie présence du couple est une source qui régénère …
Max-Louis
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Ici, c’est sans conteste que l’on puise l’essence de l’équilibre…
Merci beaucoup Max-Louis
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Quelle douceur pour raconter le tumulte de la vie……wahhhh….encore une de tes prouesses, Laurence
J’en suis toute chose, assise au jardin dans cette douceur inespérée de septembre et je savoure…..mmmmmm…….merci 🙏
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Merci à toi Maly, ça me fait très plaisir de savoir que tu savoures mes mots 🙂
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On a envie de dire à ce couple de fuir cette vie qui ne leur apporte aucun sourire, aucune surprise, vide de sens et d’espoir, de fuir les métros et le hlm bruyant et de partir plus loin, là où il y a des arbres et du silence. Et puis soudain on se rend compte qu’ils sont riches d’être deux et on se tait, avec respect…
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Ton commentaire est fort beau, alma.
Merci beaucoup.
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C’est parlant ce joli texte qui se termine par un beau moment laissant les deux protagonistes s’en aller aux pays des songes tout doucement! Bonne journée Laurence ツ
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très beau texte! j’aime qu’il y ait une touche finale positive dans ce dur et usant train-train…
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ça me semble même essentiel ! 🙂
Merci Adrienne
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C’est jolie, cette fin, le calme de la nuit après l’effervescence du jour 😉
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Merci Patchcath 🙂
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J’aime cette opposition entre une vie qui ronronne » bruyamment », cette routine du quotidien qui abime la vie et cette sensation de plénitude entre ces 2 là qui se retrouvent…
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C’est, je crois, ainsi qu’ils peuvent continuer à porter la pesanteur d’un quotidien pas toujours facile…
Merci Marlabis 🙂
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