Illustrations : Joan Martines, Atlas Nautique du Monde, 1586. Gallica/bnF
L’avant-veille de Noël, Joan Martines avait débarqué chez moi sans prévenir. Je débordais de boulot et, depuis des jours, je faisais l’impasse sur le ménage de la maison. Je vivais dans un capharnaüm assumé et mon ami, bien que tatillon, ne m’en tint pas rigueur. Il savait combien cette période de l’année était laborieuse pour moi.
Joan revenait d’un périple autour du vaste monde et chacun de ses retours était significatif. Bien entendu il avait apporté son atlas nautique du monde avec lequel nous avions déjà fait nombres de voyages. Dans son bagage il avait également ramené deux bouteilles de Mouton Rothschild 1973 qui selon lui valait son pesant de périples. Déjà l’étiquette en hommage au grand Pablo nous assurait une flânerie agréable.
Après avoir fait un tour complet de la pièce Joan avait repoussé d’un large geste de la main une multitude d’objets qui encombrait la table pour y déplier son fameux atlas nautique.
Sur celui-ci, cartographié par ses soins, on pouvait y voir répertoriés des contrées et des îles qui croisaient les océans. Des percées de terres qui demandaient à être découvertes et d’autres si anciennes que les représenter aujourd’hui transformeraient le monde. On en avait déjà fait le tour de nombreuses fois et même si je connaissais fort bien l’atlas je me suis penché au-dessus pour mieux le détailler. J’aime le travail bien fait et l’exactitude avec laquelle Joan avait cartographié les terres océaniques m’a rappelé le secret qui nous liait. Si j’en jugeais les bouteilles de vin qu’il venait de m’offrir, il ne m’avait pas attendu pour s’adonner au plaisir d’une escapade. Il m’a regardé d’un air entendu tout en nous servant un verre et effectivement le vin valait bien le détour. J’y goûtais un nombre infini de paysages, succession de coteaux et de crêtes entourés de terres basses et humides. Des saveurs qui roulaient sur ma langue et dans ma bouche comme autant de couleurs d’une terre.
A défaut du passé dont on ne parlait presque jamais on a devisé sur l’avenir. On spéculait sur la bêtise humaine qui au fil des siècles ne variait pas. Forcément, ça nous interrogeait, cette évolution par le bas. Puis, le vin aidant, nous avons fini par nous taire pour savourer l’instant et le millésime. De temps à autre nous jetions un œil sur la carte. On n’avait pas besoin de se dire combien l’attirance du voyage était difficile à contenir. On n’avait pas besoin de se dire tout ce que nous avions déjà vécu pour avoir envie de le vivre encore. Et si le vin nous offrait une étape gustative exaltante, l’atlas océanique de Joan, nous proposait un panel d’aventures autrement plus enivrantes.
Je me suis levé du fauteuil dans lequel je m’étais assis et j’ai glissé mon doigt sur la carte. J’y ai tracé un chemin invisible jusqu’aux montagnes de Patagonie, puis j’ai tourné autour de la rose des vents. Joan m’a rejoint. On a fixé le centre de la rose. Ce petit point discret qui avait le pouvoir de nous projeter dans l’univers et les confins de l’espace et du temps. Je vous assure, c’est comme un grand cru, une fois qu’on y a goûté difficile de s’en passer. Tous ces voyages. Tous ces voyages qui mènent à l’essentiel.
Un peu contrarié j’ai regardé Joan et j’ai dit : « T’a pas choisi ton meilleur jour pour venir. J’ai dû boulot par-dessus la tête ». Avisant le bazar qui jonchait le sol et la moindre surface de la pièce, il a souri, a replié la carte et l’a rangé dans le livre Les Voyages Extraordinaires de Jules Verne que ce dernier lui avait offert en souvenir d’une rencontre mémorable. Puis il m’a proposé son aide. « Ce n’est pas de refus, ai-je répondu en songeant à tous ce qui me restait encore à faire. Ma tournée commence demain et je n’ai toujours pas mis la main sur mon échelle. Toi, tu la cherches pendant que je charge le traineau. Je veux bien que tu le conduises aussi. J’ai du sommeil en retard. Et le 25 décembre, une fois la tournée finie, on déplie la carte et on part pour une virée aussi loin que possible ! »
Pour l’agenda ironique de décembre chez Carnets paresseux où l’on part en voyage à partir d’un détail de l’Atlas Nautique du Monde composé en 1582 par mon vieux pote Joan Martines. Il fallait y ajouter deux dates et six mots : Noël, échelle, demain, livre, gouffre et tatillon. (comme souvent j’ai fait l’impasse sur l’un d’eux.)
Eh bien je vois que vous avez passé un bon moment avec le Père Joan et son Mouton 😉 Joli joli
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Merci Patchcath 🙂
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Quelle bonne idée de le faire venir! Un beau conte de Noël tout sensoriel qui m’a captivé
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Merci Véro
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Superbe texte propre à nous faire voyager… par la pensée !
Merci Laurence.
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Si le texte embarque le lecteur, c’est effectivement un voyage 🙂
Merci beaucoup de ce retour et d’avoir poussé la curiosité de venir jusqu’ici, ça me fait plaisir.
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Plaisir partagé… par la lecture de ton billet.
Bonne soirée, Laurence.
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Merci. Bonne soirée à toi aussi
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Voyageuse dans l’âme malgré mon (plus si ) jeune âge, j’ai dévoré ton histoire, et pourtant, je ne suis pas amatrice de vin, au grand dam de mon compagnon ! Je me rattrape sur d’autres breuvages 🙂 Chouette cet agenda aux allures de Noël ! J’ai failli commander une cheminée pour relire ton texte ! Belle journée, Sabrina.
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Je ne suis pas non plus amatrice de vin, mais heureusement ça n’empêche pas l’imagination ! 😉
Merci Sabrina, je suis contente de savoir que cette histoire fut un bon voyage 🙂
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Un texte qui me rappelle combien j’adore cette période de noël ! merci Laurence 🙂
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Dans cette histoire le père-noël s’est plus ou moins imposé et c’est tant mieux vu la période ! 🙂
Merci à toi Frédéric.
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un conte de noël auquel je ne m’attendais pas!!! bien joué, Laurence! et bravo, bravo!!!
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Merci Maly 🙂
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Un conte de Noël original avec un Père Noël qui sait goûter et savourer un grand crû autant qu’il sait voyager grâce à une carte ancienne.
Au travers de ce texte, on devine la complicité forte qui le lie à l’aventurier amoureux de voyages et de nouvelles découvertes et lui, globe-trotter par obligation, toujours chargé mais profitant de sa tournée pour faire un bilan du monde.
Ce même Père Noël qui fait tourner la Rose des Vents et tombe sur la Patagonie, cette région plutôt inhabitée. Sans doute ne la connait-il pas puisque au cours de ses virées, il n’y a vu aucun enfant.
Il est amusant de constater que ces deux là sont autant amoureux de voyages que de grands vins au point d’en comparer les plaisirs avec autant d’enthousiasme.
Une question me taraude toutefois : vu ce qu’il a bu et dégusté, dans quel état se trouvait le Père Noël ?
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Le père Noël a une bonne résistance et des siècles d’expérience question grand cru (entre autre)
Je pense qu’il va gérer tout ça très bien 😉
Merci Yann, le plaisir d’une dégustation est aussi un voyage pour les papilles. Tu l’évoques très bien toi aussi quand tu raconte ton périple québécois 🙂
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Père Noël, globe-trotter, excellent !!!
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🙂
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Bon jour,
J’ai l’impression que le Père Noël et Joan sont de bons vivants … 🙂
Max-Louis
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Ce n’est pas qu’une impression Max-Louis 🙂
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Je sens comme des sens cachés dans tous les sens, mais c’est le bon sens, dans tous les cas.
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On peut en trouver, oui 🙂
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Ah l’ivresse du voyage, l’ivresse tout court ou celle des mots… Je ne sais pas trop laquelle m’attire le plus, mais le plaisir est là ! Il est savoureux ce texte !
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Merci beaucoup Sandra. Ravie qu’il te plaise 🙂
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👏👏👏 Ça sent la fin de l’année !
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Ah oui ? 😉
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:-))))
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Fameux voyage, mais cependant un peu inquiète: cette échelle, vous l’avez retrouvée? Et doucement sur le Mouton Rothschild, n’est ce pas 😉
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Je te répondrais le 25 ! 🙂
Et on s’est gardé la seconde bouteille pour notre retour !
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‘Xcellent ! tu donne tout simplement la parole au héros du mois (et je ne parle pas du premier ministre) !!
j’adore 🙂
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C’est bien la première fois que je lui donne la parole à celui-là. C’est dingue ce que me fait faire cet agenda ! 🙂
Merci Carnets
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