L'amour au temps du corona

Ce matin comme tous les matins, Nathan a rempli de graines le nichoir qu’il a fixé tant bien que mal sur le rebord de sa fenêtre. Les oiseaux sont de plus en plus nombreux à s’y arrêter. C’est l’unique fenêtre de son studio mais il mesure sa chance d’habiter au quatrième étage parce qu’elle s’ouvre presque sur le ciel, contrairement à son voisin du rez-de-chaussée, qui elle, est munie de barreaux. Lorsqu’il se penche sur la droite, Nathan peut apercevoir un jardin lointain et s’il plisse les yeux il distingue le vent bercer les branches d’un figuier près d’une cabane d’enfants.

Nathan s’est levé tard. La nuit dernière il a tchatté avec son meilleur pote reparti chez ses parents, comme la majorité des étudiants. Le veinard le nargue avec les bons petits plats préparés par sa mère et lui a même avoué apprécier se faire cocooner.

Nathan attend midi pour sortir de chez lui. Midi, c’est la bonne heure. Pour Nathan qui exècre les habitudes, il reconnait que depuis quelques jours elles sont de l’ordre du plaisir rare. Il marche sans se presser, son autorisation de sortie en poche, empruntant un trajet différent de celui de la veille et de l’avant-veille. Sur le pont qu’il traverse, il se demande depuis quand il n’a pas pris le temps de s’arrêter pour observer les tourbillons d’eau et le courant courir à toute vitesse vers la mer. Toutes sortes de pensées le traversent, dont un maelstrom de créativité qu’il se promet de mettre à profit une fois rentré.

Les rues désertées ont des allures de fantôme, la ville respire le silence. Nathan croise un homme et son chien, l’un et l’autre indifférents à sa présence. Sans le tragique de la situation, on pourrait croire le monde en sommeil. C’est un peu cela, mais pas tout à fait non plus. Sous les yeux de Nathan le printemps renait, il entend sans mal le chant des oiseaux autrefois masqué par les bruits de la ville. Sur les branches des arbres, les bourgeons éclatent un peu plus chaque jour en nuance de vert. Nathan enfle ses poumons de l’air gorgé de soleil en parcourant le boulevard où les voitures sont aussi rares que les passants.  

Devant la boulangerie, il attend avant de pouvoir entrer – distance de sécurité obligée. Il attend sans hâte parce que l’attente est belle.

Au moment où il passe le seuil de la boutique, le parfum du levain et celui des viennoiseries emplit ses narines. C’est ainsi depuis trois semaines, depuis le jour où le moral en berne il a poussé la porte de cette boulangerie. Il reçoit à chaque fois un concentré d’odeurs aux arômes de douceur et en prime le sourire de Lisa.

De Lisa, Nathan ne connait que son prénom et son bonjour chaleureux. C’est un bon début, pense-t-il.

Confiné dans son studio le reste du temps, Nathan reçoit comme un présent le moment où Lisa lève son bras et saisit la baguette de pain puis lui demande si ce sera tout. Et si Nathan hésite à prendre autre chose, ni l’un, ni l’autre n’est dupe de cette hésitation. C’est le temps du plaisir de se regarder quelques secondes de plus. L’espace d’un instant Nathan et Lisa oublient la peur, ils la claquemurent si loin que tout semble les protéger du danger. Et lorsque Nathan tend sa monnaie et se penche subrepticement vers Lisa, au frôlement de leurs doigts, les deux jeunes gens, sans un mot, imaginent tous les possibles d’un lointain jour à venir.

Les plumes d’Asphodèle chez Emilie. 13 mots inspirés d’après le mot ABRI: Sécurité, jardin, créativité, nichoir, cocooner, Kot (facultatif car Belge) protéger, courir, claquemurer, cabane, pensée, bras, bon.

26 réflexions sur “L'amour au temps du corona

  1. Ce confinement imposé nous permet de goûter intensément à chaque instant des moments où nous sommes autorisés à sortir.
    La ville nous apparait différente, silencieuse et presque fantomatique ; les boutiques aux yeux fermées laissent une impression de rue moribonde ; celles qui sont encore ouvertes semblent nous appeler et nous faire de l’œil pour nous inciter à mieux les regarder.
    Alors nous cédons à la tentation trop forte et pénétrons dans certaines d’entre elles. Et là, la vendeuse ou la caissière que nous regardions à peine d’habitude, devient une personne rare, une des seules que nous verrons dans la journée. Nous prenons le temps de la regarder en lui commandant un pain, des gâteaux ou quelques légumes.
    Les brèves secondes que dure cet instant semblent être une petite éternité que nous voudrions prolonger. Nous en profitons pour admirer cette jeune femme à laquelle nous prêtions peu attention voici quelques jours et nous nous apercevons qu’elle est belle.
    Arrive le fatidique moment de payer : nous tendons quelques pièces dans l’espoir secret qu’elle touchera nos doigts mais ce n’est pas le cas. Elle nous regarde un peu plus longtemps que d’habitude et nous offre un sourire qui éclaire son visage …
    L’esprit rempli d’espoir nous quittons cette boutique. L’espoir imaginé d’une rencontre avec elle dans d’autres circonstances pour plus tard prend forme. Qui sait ?

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  2. Il y a une chose que rien ne peut arrêter, ni virus, ni tempête, ni distance ou autre, c’est l’amour ou bien plus abordables encore pour certains, les prémisses de l’amour.
    Comme après l’incendie, germent les graines, ici, malgré la pandémie, l’amour germe et s’entretient. C’est la continuité et l’espoir.
    Un beau texte d’après des mots qui pourraient emmener bien loin de tout ça. J’apprécie toujours les chemins que tu empruntes. Ton imagination est florissante.
    Belle journée à toi. J’imagine que tu as de quoi t’évader et nous faire voyager.
    Bises, à bientôt

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    1. Merci Val. En ces temps troublés, parler d’amour et de la légèreté qu’elle procure pourrait paraître incongru, pourtant c’est, à mes yeux, essentiel. 🙂
      Tu as raison, c’est bien la continuité de l’espoir.
      Bises lointaines

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  3. J’aime beaucoup ce texte qui respire le positif, l’espérance, le désir malgré la situation qui est tendue. Ce qui fait le charme de ce texte aussi est sa fraîcheur. On sent presque physiquement les choses, le vent, les parfums de la boulangerie… Merci Laurence ! Alan

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  4. J’ai vendu des gâteaux et autres gourmandises dans notre pâtisserie, pendant 32 ans ! De ces sourires et de ces doigts qui cherchent le contact, je pourrais en parler longtemps. 😀 je pourrais aussi parler des personnes seules (comme celles dont on parle en ce moment) avec lesquelles je passais beaucoup plus de temps qu’avec celles qui avaient une famille qui les attendaient. La cliente qui achetait un croissant me quittait moins rapidement que celle qui en achetait douze. Je pense à celles qui ne pourront plus parler à personne, qui n’avaient que les commerçants avec qui converser. Je revois, 16 ans plus tard, le visage de certaines de ces personnes. Bonne soirée.

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  5. Bon jour Laurence,
    La construction d’un demain à deux aux prémices d’un regard, d’un geste, d’un ressenti, d’une onde qui attend de grandir en une vague d’amour … une belle aquarelle qui naît devant nous …
    Max-Louis

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  6. J’aime le rythme du texte, il s’en dégage une atmosphère apaisée qui fait du bien car en effet voici que se détache dans cette situation inédite et anxiogène, un autre temps. Celui de la lenteur, du figuier lointain et des oiseaux qu’on entendait plus. Et puis la vie sous la forme de cet amour naissant qui ne demande qu’à éclore. Un beau récit d’espoir Laurence.

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  7. Et oui, comme le travail est au ralenti, les quelques pas que l’on fait pour un trajet banal et habituel deviennent précieux. Ah les petits pains au chocolats de Joe Dassin…. Espérons que Lisa comprendra ce que Nathan veut lui dire.
    avec le sourire

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    1. D’abord, pour moi, c’est l’aboutissement de toutes ces manipulations passées sur l’insécurité et les lois passées durant l’état d’urgence, entre autres, lois qui subsistent toujours, restreignant nos droits et libertés, aujourd’hui le gouvernement paternaliste en rajoute une couche, nous faisant un peu plus courber l’échine, nous menaçant de punition si on n’obéit pas…la suite, j’espère que nous en sortirons unis et tous ensemble iront porter mla contestation à l’Elysée et que ce sera un mouvement mondial.

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