L’hiver, on avait pris l’habitude de se retrouver au café.

L’hiver, on avait pris l’habitude de se retrouver au café. C’est toi qui avais choisi l’heure. C’était une heure intermédiaire, entre celle où l’on rentre chez soi et celle où l’on sort dîner. La devanture, éclairée de son enseigne néon « EAT » se parait de rouge et le contraste avec l’obscurité environnante dotait l’emplacement d’un aspect chaleureux. En face du café, il y avait la mer. Les nuits sans lune, on entendait – sans parvenir à les distinguer – les vagues claquer contre le parapet. Plus l’opacité était présente, plus le clapotis s’amplifiait et dans la pénombre déployée je devinais ta silhouette faire face à l’océan. Je commandais deux verres de vin blanc et attendais que tu franchisses le seuil du bistrot.
A l’intérieur il faisait bon. La salle, dans l’attente des clients, était encore déserte. Comme un rappel à commander à dîner, l’enseigne « EAT » figurait aussi sur le mur du fond et embrasait les tables de carmin. L’atmosphère du soir s’enrichissait des parfums de la mer. Blanquette de poisson, filets en papillotes, bouillon de palourdes. Avec le vin, la patronne nous servait des crevettes à l’ail et quelquefois des beignets de calamar piqués de cure-dents qu’une fois délesté de leur mets, tu alignais sur la table comme une palissade.
On parlait travail et projets futurs et, dans le brouhaha des voix qui filtrait de la cuisine, les idées prenaient forme. Tu esquissais quelques ébauches pendant que je notais les bouts d’histoires à venir. C’était une heure riche de sens. On oubliait la précarité du métier, les fins de mois difficiles. Tout paraissait possible à inventer et à vivre.

Avant même de repasser commande, la patronne nous déposait deux nouveaux verres sur la table. C’était le prélude à notre départ. Déjà la salle revêtait ses atours de restaurant, le flot des clients fendillait l’ambiance feutrée dans laquelle nous baignions. Une fois nos verres terminés, nous ne nous attardions pas. Tu m’avais avoué ne pas aimer le bruit des gens.

J’embrassais ta joue, tes cheveux humides d’embruns sentaient l’iode. D’autres histoires me venaient alors en tête. A demain, disais-tu et je répondais oui.
Oui, demain, me répétais-je et je frôlais l’espérance.
J’allumais une cigarette et devant le café te regardais partir. Ta chevelure aux reflets de l’enseigne dansait dans le vent comme une lueur rouge au parfum de la mer.

Une photo, quelques mots. Atelier Bric à book 374

12 réflexions sur “L’hiver, on avait pris l’habitude de se retrouver au café.

  1. On s’y croirait;) . J’aime forcément cette ambiance maritime la nuit avec cette lumière chaude qui me fait penser au tableau de Hopper avec ce couple dans un bar de nuit.
    Tu as du talent et si tu publies , ce que je t’encourage à faire, j’acheterais le livre les yeux fermés ;). Très belle journée Laurence. Alan

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    1. Merci Alan. Ton retour me fait très plaisir. Même sans la présence de la mer, il me semblait évident qu’elle était proche… mais bon je suis de partie pris, moi aussi 😉 J’ai aussi pensé à Hopper en voyant la photo mais davantage à l’ambiance de solitude que l’on retrouve dans ses tableaux. Comme quoi, de ses oeuvres émanent beaucoup de choses.
      Des livres il y en a déjà deux, deux romans publiés, l’un en 2015, l’autre en 2019… 🙂
      Bonne soirée à toi.

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      1. Oups! Désolé pour tes livres mais je lis très rarement les romans. Je vais me renseigner sur ce que tu as produit et je vais plonger dedans très rapidement. Je vais aussi participer à l’exercice d’écriture que tu proposes. Ça va me stimuler ;). A bientôt. Alan

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  2. Une heure intermédiaire, un instant privilégié dans la vie de ce couple dont on ne sait pas si la vie les réunira finalement. Au fil de récit on ressent tout ce que ces projets ont de précaire, d’improbable et la chaleur de l’endroit ne peut que nous suggérer une certaine mélancolie…
    Tes personnages sont attachants, on aimerait bien savoir ce qu’ils sont devenus.

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