L’été, la nuit les bruits sont en fête. On en a un aperçu dès le coucher du soleil, lorsque l’indigo se fond dans le fleuve. La ville se teinte de nuances claires obscures et les bruits s’animent de tonalités nouvelles. Il n’est pas rare d’entendre le murmure du jour prendre son temps pour s’éclipser et c’est à cette heure qu’il appartient au conteur de narrer son histoire.
Le jour dont je vous parle, j’étais accoudé à mon balcon à écouter la saison sur tout ce qu’elle a à nous dire. Habituellement elle retentit jusque dans les rues, ricoche sur les murs des maisons et tinte au-dessus des champs. Les bruits engendrent les sons et les sons les bruits c’est bien connu. Ce jour-là, pourtant, le vent même s’était tu. La texture du monde avait pris un drôle d’aspect, les champs se drapaient de formes étranges et comme poussés par un souffle pourtant inexistant, les bateaux à voile voguaient sur le fleuve miroir. Quant aux oiseaux, ils voyageaient de métamorphoses en métamorphoses à contre-courant de leur vol habituel.
C’est, je crois, à ce moment-là que j’ai vu l’impossible poursuivre le possible. L’un tentait d’échapper à l’autre et cela ressemblait à une danse improbable et tout autant surprenante. J’ai interpellé mon voisin afin qu’il soit témoin de l’incontestable, mais trop occupé à presser des oranges bleues sur son cœur amoureux, c’est à peine s’il m’a regardé. J’ai alors pris la décision de suivre les deux opposés. Je voyais le possible redoubler d’ardeur pour fuir l’impossible mais celui-ci gardait le rythme et la distance s’amenuisait au fil de leur course. Leurs pas frappaient l’asphalte en cadence. Au tournant de la rue principale je suis tombé sur une manif d’objets hétéroclites qui revendiquaient leur indépendance. Aucun doute, ai-je pensé, l’impossible est au centre de tout cela. Malgré moi je me suis retrouvé emporté par le flot. J’ai cherché des yeux le possible, perdu dans la foule, affolé de frôler l’utopie et l’aberration. Son souffle battait le probable, s’accrochant au vraisemblable alors que le soleil se levait pour la deuxième fois de la journée. Pourtant, me disais-je, à les voir tous les deux il était évident que dans l’impossible vit aussi le possible, il allait bien falloir que ce dernier l’admette.
J’étais persuadé que pour ancrer cette histoire dans la réalité il fallait que je la raconte. Aussi lorsqu’une échelle et un arrosoir, bras dessus dessous sont passés devant moi j’ai cherché leur attention, levant la main en signe de bonjour, mais aucun n’a tourné le regard vers moi. A croire que j’étais devenu invisible. Dépité, j’ai rejoint le fleuve, observant le monde qui se gondolait au tempo des marées alors que le soleil n’en finissait pas d’éclairer les heures.
Je me suis assis sur le bord du quai, les pieds frôlant l’eau, dans l’espoir d’attirer les poissons pour leur narrer l’étrangeté de ce jour d’été. La lune s’est faite discrète comme la nuit. Peut-être fallait-il attendre que la réalité de la situation cesse pour mieux me faire entendre. J’ai frémi à l’idée qu’il me faille écrire noir sur blanc cette histoire. Qui viendrait lire les dires d’un conteur sans voix ? C’est un peu démoralisé par la situation que j’ai soudain vu l’impossible venir jusqu’à moi, me regarder avec un franc sourire et me dire de ne pas m’en faire. Sois patient, a-t-il dit, il faut du temps au monde pour accorder de l’importance à ce qui est. Alors j’ai patienté pendant que la nuit grignotait enfin le jour. C’est là, entre chien et loup, que j’ai vu l’impossible enlacer le possible et le geste avait cette certitude de l’irréalisable accessible. Au loin les bruits de la manif se délitait, les objets, dans un joyeux capharnaüm, rentraient chez eux. J’ai entendu un rire joyeux derrière moi. Un rire qui m’invitait à prolonger l’impossible possible. C’était bien la peine de m’en faire, me suis-je dit tout à coup rassuré, parce que tout conte fait l’impossible pour être conté et finalement, j’ai rencontré une brouette, et j’ai pensé qu’elle me prêterait une oreille attentive.
Pour l’agenda ironique de juin où il était question (entre autre) de s’inspirer de la citation de Lewis Carroll « Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossibles »
Collage ou décollage, en tous cas ça décoiffe ! La brouette était miraculeusement là pour me recevoir! J’ai bien aimé, merci Laurence pour ce magnifique agenda du mois
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Merci, Véro 🙂
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Bonté divine ! Après t’être retrouvée mélangée à ces objets en révolte, à ce monde surréaliste, au fait d’avoir dû faire face à des situations inextricables, comment as-tu fait pour parvenir à narrer et décrire ce que tu voyais.
Je m’interroge tout de même : En es-tu sortie indemne ?
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Ma foi, c’est le propre du conteur de savoir mener son histoire afin de s’en sortir sans problèmes 🙂
Merci de ta lecture Yann.
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Eh eh, même si je n’ai pas trouvé le temps de participer à l’Agenda, j’adore découvrir les textes, avec une consigne comme celle-là, ça délivre une sacrée imagination ! Ton texte ne déroge pas à la règle, et c’est chouette à lire ! Belle journée à toi, Sabrina.
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Merci beaucoup Sabrina. 🙂
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Euh… tu nous le prouves (avec un « s », c’est quand même mieux !)
Et puisqu’on en est aux « coquilles », je crois que j’en ai entr’aperçu une à la fin de ton texte :
« tout conte fait l’impossible pour être conter » ?
ou « pour être conté » ? 🙂
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Oups, oui bien vu, La Licorne. C’est corrigé ! Merci 🙂
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Le yin et le yang, le noir et le blanc, le possible et l’impossible…sont faits pour s’entendre…et tu nous le prouve avec style …
On se laisse bercer par tes mots du début à la fin …c’est un vrai bonheur que de te lire !
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Merci beaucoup, ton retour me fait très plaisir 🙂
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Il y a de quoi se gondoler! J’aime beaucoup ce nouveau paysage qui tombe parfaitement sous le sens.
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Se gondoler est excellent pour la santé ! 🙂
Merci victorhugotte
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Super bien accordé du début à la fin et surréaliste et farfelu comme j’aime ;). Bravo Laurence. Alan
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Merci Alan. C’est un peu l’idée de l’agenda ironique, tout est possible à écrire et le surréalisme s’y prête bien 🙂
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oh, Laurence, c’est magnifique !
ça coule de source et c’est merveilleux d’évidence et d’absurde ! dire que je n’ai rien écrit…. peut-être qu’en rendant une copie en retard ?
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Merci Carnets 🙂
J’ai repoussé la date jusqu’au 26 mais c’est possible aussi après.
De toute façon, j’attends de te lire, peu importe quand. 🙂
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J’adore, déjanté au possible avec une pincée de philosophie aromatisée à la poésie, le tout dans une ambiance Surréaliste. Je demande à voir le tableau qui illustrerait ce récit 🙂
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Ah ! Ah ! le début de l’histoire s’inspire du tableau d’Escher mais pour la suite tout reste à inventer… J’imagine bien un collage surréaliste un peu comme ceux de J. Prévert 🙂
Merci Alma, contente que tu aies apprécié cette histoire déjantée.
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Excellente idée, tu relèves le défi?
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Beau texte. bravo !
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Merci ! Merci ! 🙂
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Génial, j’adore ce texte. Bravo Laurence, là tu as fait fort
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Pourtant ce n’était pas gagné… Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi j’avais décidé un thème pareil 🙂
Merci beaucoup Marie
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Il m’a séduit pour son originalité et son décalage
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Avec le surréalisme, on peut tout réinventer 🙂
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