L’écharpe inattendue

Quand Fabien sortit de chez lui à l’aube d’un matin gris de novembre, un brouillard dense enveloppait la ville comme une ouate. Les sons assourdis et la lumière pâle du jour convergeaient à l’intérieur. La sensation était plutôt agréable, Fabien avait l’impression de flotter lui-même dans un espace ample, dénué d’inquiétude. Il avançait sur la partie gauche de la route, celle où durant l’été les arbres prolongent l’ombre au-dessus des bancs qui bordent le parc. L’éclairage des lampadaires trouait la brume de halos ordonnés et semblait se mouvoir comme une symétrie urbaine aux repères cadencés. Le froid et l’humidité imprégnaient l’air. Fabien enroula autour de son cou l’écharpe qu’il portait dès les premiers frimas. L’écharpe unie, de couleur safran au tissage serré, était douce au toucher. Longue et de belle largeur. Elle avait un petit accroc près de la couture du bas. Fabien n’avait jamais cherché à le recoudre. Au contraire le savoir là, lui offrait le souvenir d’un incident particulier, une résurgence avec mots, odeurs et sensations livrés en vrac.  Et de temps à autre, il y replongeait, comme une main dans un sachet de bonbons anticipant le plaisir de la gourmandise.

A cette époque il dormait près de la gare, entre les poubelles de l’hôtel de la Gare et celles du restaurant qui portaient le même nom. Un renfoncement dans le mur lui donnait une impression de protection et surtout de réconfort grâce à la climatisation de l’hôtel fixée de l’autre côté du mur qui lui apportait un semblant de chauffage. Il y logeait avec plus ou moins d’aisance son grand corps recroquevillé dans ses vêtements trop lâches. Quel que soit le temps et la saison, il avait pourtant froid. Il arrivait toutefois à dormir par intermittence quelques heures, baignant dans l’état intranquille de l’agitation ambiante. La nuit révélait la fureur fauve des êtres. A ces heures, la violence, les cris, l’impatience, la démesure redoublaient d’intensité et de peur. Malgré tout, il restait impavide, comme coupé du monde. S’il tenait à ce petit coin de mur c’était aussi parce que certains matins, il trouvait à son réveil, une bouteille d’eau, une baguette de pain, un fruit posés près de lui, et certains jours, une viennoiserie. Une fois, il avait même eu droit à un baba au rhum.

Il ignora tout de son mystérieux et discret donateur jusqu’à cette nuit particulièrement glaciale où réveillé par une pression sur son épaule il leva les yeux sur un jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Le visage émacié sur un regard d’une humanité rare, le sourire indécis, il semblait penaud de l’avoir réveillé. Il portait un manteau entrouvert sur une tenue de serveur et tenait à la main une pochette de papier cadeau froissé. Il tendit le paquet à Fabien, avant de partir comme un voleur « C’est pour vous » dit-il, déjà loin.





Pour les Plumes d’Asphodèle chez Emilie. Du thème SURPRISE, ont découlé les mots suivants : quand, cadeau, baba, chauffage, inattendu, agréable, ébaudi, prix, partie, peur, (pochette), impavide, incident, ignorer. J’ai mis de côté « ébaudi » mais ajouté « pochette », mot repêché chez Lilousoleil 😉

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23 réflexions sur “L’écharpe inattendue

  1. Merveilleux texte que celui de cet homme qui semble sorti d’affaires mais n’a rien oublié de son dur passé. Le fait qu’il ait gardé cette simple écharpe montre combien ce geste plein d’humanité la marqué jadis.
    Il ressort de ce texte beaucoup de réalisme et de charité envers les plus démunis.
    La description de l’ambiance et de ce que ressentait ce jeune homme quand il était sans-abri est telle qu’on l’imagine aisément quand il n’avait quasiment rien à manger ni peu d’endroit où s’abriter vraiment.
    Ce que ressentent les sans-abri est fort bien décrit, avec précision, une précision qui fait appel à tous les sens et qui permet de vivre en spectateur cette histoire de souvenir d’un bon samaritain qui permit à un miséreux d’avoir plus chaud au corps et au cœur.

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  2. Tu n’aurais pas casé les mots que cela n’aurait eu aucune espèce d’importance.
    Ton jeune naufragé me rappelle des soirées où, au moment de la fermeture de notre pâtisserie, pendant que je faisais la caisse et le ménage, mon pâtissier de mari regroupait les invendus et allait les donner à ce groupe de marginaux qui trouvaient refuge sur les bancs de la place Clémenceau.
    Je me souviens particulièrement, avec émotion et respect, de cet homme qui arrivait chancelant, devant la porte du magasin, qui se redressait pour entrer le plus dignement possible dans notre antre sucré. Il adorait et ne se privait pas de le dire tout haut, les choux chantilly.
    Oh dis donc, je suis bouleversée de me rappeler ces moments si intenses ! Mais ravie ! Merci Laurence.
    Bisous et bonne soirée, mon pâtissier à la retraite vient de me dire que le repas était prêt ! 😀
    J’y vais…

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