« J’ai entendu dire que quand on est perdu le mieux à faire c’est de rester où on est et d’attendre qu’on vienne vous chercher, mais personne ne pensera à venir me chercher ici. » C’est ce dont je me suis persuadée quand j’ai franchi la rivière. J’étais perdue depuis des années. Et je venais de me retrouver. Ça faisait deux jours et deux nuits que cachée dans un fourré, j’attendais d’avoir le courage de passer la rive. Comme un besoin de réconfort, j’y avais construit un semblant de nid fait de mousse et d’herbes fraîches. Avant cela, j’avais marché longtemps, déjouant les accès les plus fréquentés, évitant le déploiement de mes ailes pour qu’on ne me remarque pas. Il me fallait aller jusqu’au bout de mon désir de fuite, retrouver l’étincelle qui gisait au fond de moi. J’avais quitté la ferme du maître un soir d’orage. Le chemin à peine visible dans la nuit sans lune, je m’orientais à l’instinct. C’était un sentiment assez inédit, comme si je découvrais pour la première fois un état laissé à l’abandon depuis des lustres. Tous les sens en éveil, je saisissais chaque son avec une acuité nouvelle. Ma vue s’était élargie jusqu’à englober les terres au-delà de la rivière. Je respirais les senteurs boisées de la forêt, les bruyères, la menthe poivrée et les fougères. Je respirais comme je n’avais encore jamais respiré. J’avais levé la tête vers le ciel. Je percevais les courants ascendants dans l’air comme un appel.
Après l’euphorie, il y a eu la peur. La peur des représailles et celle de l’inconnu. Je quittais un lieu et une existence certes difficile, mais j’avais l’assurance que chaque jour serait de la même ampleur : le maître chafouin, les regards qui jugent, les bouches qui médisent, l’humiliation quotidienne et un semblant de toit où dormir.
Donc la peur. Tapie au fond de moi comme une pénitence, j’ai attendu les châtiments pour ma désertion. Tremblante de tous mes membres, affaiblie par des années de privation. La pluie de l’aube a été comme une délivrance. Lavée de toutes traces du passé, j’étais vivante, chaque cellule de mon corps me l’affirmait ; la faim aussi. J’ai étanché ma soif au bord de la rivière et aperçu mon reflet dans l’onde. Mes plumes ternes, mon visage émacié. Et ma résolution s’est affermie. J’avais fui pour retrouver ma liberté.
Sur la rive opposée, j’ai réveillé le passeur qui dormait derrière une haie de fusains, sa longue vue abandonnée sur le côté gauche de son grand corps. Sous ses vêtements, je devinais le bleu de ses écailles. Patient, il attendait ma venue depuis quarante-huit heures. Il m’attendait. J’ai baragouiné mes premiers mots, « Tout flivoreux vaguaient les borogoves » et ça m’a fait l’effet d’un cafouillage de sons bizarres, car je n’avais pas prononcé un mot depuis des jours. Le passeur a paru satisfait parce qu’il m’a répondu aussitôt : « Les verchons fourgus bourniflaient » puis il m’a adressé un sourire. « Bienvenue sur les terres libres, a-t-il dit ensuite. Bienvenue, femme-oiseau. »
Pour l’agenda ironique de septembre hébergé par Verojardine. Où il fallait raconter une histoire en se mettant dans la peau d’un animal de notre choix. Le texte devait contenir 4 mots : longue-vue, chafouin, gésir, chemin, et intégrer la citation de Lewis Caroll et deux strophes (mises entre guillemets) J’ai pris la liberté d’imaginer de nouvelles espèces 🙂
Photo : L’Envol – sculpture de Jean Marie Fondacaro
Bravo. C’est magnifique !
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Merci beaucoup 🙂
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Je vous en prie ! J’aime bien votre blog et votre style. 😊
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Difficile à caser dans un texte ces deux phrases !
J’ai trouvé qu’elles fonctionnaient bien en mode mot de passe 😉 si en plus ça t’a fait rire, c’est tout bon !
Merci Alan.
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La scupture est superbe. Dans ton texte, ce que j’ai préféré, c’est l’échange avec le passeur planqué derrière une haie de fusain avec ses belles écailles bleues. Leur échange verbal m’as bien fait rire. Bizh. Alan
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Nice blog
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après les sirènes ou femmes-poissons, la femme-oiseau, c’est merveilleux elle doit bien chanter aussi, mais elle baragouine étrangement !! 😉
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Merci Julien. Ah ça c’est drôle je n’ai pas pensé du tout au chant, pourtant tu as raison elle doit savoir chanter 🙂
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Merci à vous, c’est un texte très touchant Laurence. ♡
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Merci Gh0ST, très touchée en retour.
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Merci femme oiseau …
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Merci à toi Véro. L’inspiration fut aisée, j’ai rarement écrit aussi vite un texte pour l’agenda. C’était fort agréable 🙂
J’ai vu que tu m’avais laissée un autre commentaire mais j’ignore où et impossible de savoir où il est passé… 😦
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Je parlais de fluidité à te lire !
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Je t’ai retrouvée ! 🙂 (en commentaire sous la photo qui illustre le texte).
Merci Véro. Bon après-midi, venteux.
Je t’embrasse
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La femme-oiseau quelle belle image Laurence.
Elle vole enfin vers sa vie, libre
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Merci Marie.
Nous devrions tous pouvoir faire de même.
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Toutes les femmes devraient être des femmes-oiseau et vivre en liberté sans contrainte. Un récit bien imaginé et qu’on « voit » en même temps qu’on le lit.
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Merci Marie 🙂
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Bon jour Laurence,
Diantre la « femme-oiseau » … tout un symbole … 🙂
Max-Louis
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Symbole de… liberté ?
Bonne soirée Max-Louis
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Qui sait ? 🙂
Bonne soirée à toi également.
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(et bravo pour ton habileté à placer les phrases imposées 😉 )
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🙂
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C’est beau. On vit et on ressent son angoisse devant la liberté toute proche, ce récit fantastique et poétique est pourtant si proche de la réalité de ceux qui fuient la misère ou les geôles…
Bonne chance à la femme-oiseau, l’illustration est très belle!
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C’est vrai, la sculpture est superbe !
Merci Alma, difficile pour moi de me mettre dans la peau d’un animal, alors j’ai biaisé 😉
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