Têtes de femmes douces comme une écume L’eau les traverse comme les cailloux trop clairs Il faut si peu de leur ombre pour couvrir la terre Et pourtant tous leurs silences
Eblouie par l’éclat paisible du soleil d’hiver je repousse toutes les inquiétudes et grave des paysages traversés de fissures et de failles. J’écoute les roulements répétés du tonnerre, le début de quelque chose, le pardon des hommes, ta voix de silence, le vent secouer les arbres avec ardeur.
Il y a les nuages gonflés de pluie, les mimosas en fleur, le fleuve en crue. Nos têtes levées vers le ciel. Habités de cette seule certitude que seul suffit aujourd’hui.
J’avais espéré débuter 2021 par une exposition où le public serait présent. – se motiver, se projeter vers l’avenir, toutes ces belles idées que l’on tente de mettre en pratique pour tenir. Sélectionnée en catégorie peinture avec onze autres artistes peintres pour Artempo 2021, à Cugnaux en Haute Garonne, le salon des arts plastiques prévu en janvier pour une ouverture au public s’est finalement tenu en virtuel. Cela m’a tant déçue que je n’en ai pas vraiment parlé autour de moi.
Je veux bien réinventée l’art, chercher de nouvelles façons de l’offrir aux autres et c’est, il me semble, ce que je fais aussi à travers ce blog. Toutefois cela ne suffit pas. L’art sous toutes ses formes prend aussi corps à travers le regard du public et rien ne remplace le plaisir de visu.
Outre la lassitude, je ressens une profonde tristesse face à la situation qui stagne, voire qui empire pour la majorité des artistes. A force de ne pas exercer on s’affaiblit et c’est toute la société que l’on fragilise. Jusqu’où faudra-t-il aller dans l’inexistence pour comprendre ?
Tout artiste se meurt de ne pouvoir exercer et montrer ce pour quoi ils vivent et vibrent.
J’ai pensé doublement à toi aujourd’hui. J’ai essayé de compter les années passées sans toi et puis le décompte m’a paru si peu en adéquation avec ton absence que j’ai laissé tomber le calcul.
A la radio, Sydney Bechet jouait « Petite fleur ». J’ai tourné sur moi-même et ai esquissé quelques pas de danse.
J’ai saisi la musique comme le témoignage de ta présence.
Un jour au bord du jour, un jour un peu flou et un peu fou, j’ai rêvé d’être vivant. Etre l’élève qui se révèle, s’arme du courage des braves et ose l’annulation des jours tristes et autres figures de carême.
Alors j’ai regardé de face le monde vorace, la réalité masquée à grand renfort d’images factices. Les villes bouffies d’arrogance, les forêts qui brûlent et les cultures en souffrance. L’homme perdu, la femme accablée d’inquiétude, l’enfant disparu. La peine et la lassitude courbant les corps et les cœurs négligés.
J’ai rêvé d’être vivant pour chasser chaque impossibilité, donner du goût à l’avenir. Et enfin t’accueillir
On prendra les chars à voile pour retrouver la mer. La mer. Et sous l’élan du vent, le regard confiant, nos empreintes auront la couleur du temps.
Les plumes chez Emilie. Du thème Carnaval 14 mots à placer : annulation, élève, masquer, monde, brûler, beignet, femme, accueillir, fou, oser, carême, char, couleur, culture. j’ai fait l’impasse sur beignet.
Avec le chaleureux assentiment de Laurence Délis, Voyage Restropective I et Voyage Restropective II, Je vous propose de continuer ensemble cette invitation au Voyage, inspirée de ses fabuleuses œuvres. Merci à Laurence pour ces belles représentations.
L’ébullition de tel ou tel propos, les distanciations de telle ou telle démarche, peu importe. Nous continuâmes de nous retrouver à l’extrême limite, frontière invisible qui nous parlait d’un autre monde. Nous avions comme suspendu littéralement les questionnements et immobiles, tous deux, nous regardions à ne plus jamais nous extraire du regard, car, en lui, voguaient nos réponses et nous étions serrés l’un tout contre l’autre, dans le froid hivernal. Ce qui était étrange, c’est que nos yeux devançaient tous les défis, et toute chose, et tout ce qui était connu, se défaisaient dans les ourlets du temps et de l’espace. Quand nos mains se retrouvaient, nous approuvions par elles nos liens…
La caméra super 8 avait été un cadeau commun de la part de toute la famille. C’était souvent le cas avec les cadeaux qu’Elise et moi recevions. Un cadeau pour deux, comme si le fait d’être né le même jour justifiait une telle idée. Elise l’avait monopolisée pendant plusieurs semaines. Elle s’était créé une nouvelle identité, une profession – reporter de guerre – et les voisins et moi n’avions pas eu réellement le choix. On avait dû se résigner à être ennemis et à courir, sauter, se vautrer dans la boue pour coller au plus près des personnages. Elise avait de l’imagination à revendre mais ses scénarios laissaient à désirer. Il fallait toujours concevoir de nouveaux défis, explorer son inventivité aussi loin que possible. Cela ne durait guère cependant et j’avais appris à patienter, jusqu’au moment où, lassée de son rôle et du cadeau qui allait avec, elle l’abandonnait sans le moindre regret.
Une fois la caméra en main, elle devint une extension de mon bras, de mon regard, de ma vision du monde à travers celui de ma sœur. La première fois que je filmai Elise, elle chantait Banana-split dans le salon et se dandinait en tenue rose fuchsia comme Lio dans le clip qui passait à la télé. Elise aimait vivre vite, se saouler d’aventures de toutes sortes. Je la considérais, émerveillé par son appétit si grand. Elle aimait fort, et notre lien particulier se nourrissait de cette énergie. Ne t’arrête pas de filmer, Eliot, disait-elle, tu es notre mémoire.
Je filmais ainsi l’adolescence d’Elise. Elle apparaissait tantôt lumineuse, tantôt incertaine. La transformation de son corps, sa pudeur nouvelle. Sa vie d’adulte. La mélancolie qui surgissait sous les éclats de rire. Et sa fragilité me heurtait comme un rappel. Le bonheur ne pouvait être capturé. Je recueillais avec quelques avidités toutes les heures heureuses, comme pour prévenir les jours sombres et si elle mit des réserves sur les moments douloureux qui jalonnent toute vie, elle me laissa libre de filmer ses aléas. Son mariage, ses enfants, son divorce, son premier petit-fils. Elle était si fière d’être une jeune grand-mère, se moquait gentiment de ma lenteur à vivre. – Je n’ai rencontré ma femme Madeleine que dix ans après le mariage d’Elise. Ainsi, étape après étape, nos existences restèrent imbriquées l’une dans l’autre.
Aujourd’hui, je montre à Elise mon premier film restauré, celui où elle danse et chante sur Banana split et pendant un instant un sourire égaye son visage puis comme pour beaucoup de choses, elle s’en désintéresse rapidement. Elle est assise dans son fauteuil préféré. Son attention est portée vers la fenêtre de sa chambre, là où les arbres du parc se balancent doucement dans la brise. A un moment, elle se lève et j’oublie que je filme. Je la regarde, je murmure son prénom comme pour la ramener vers moi, mais elle s’éloigne déjà, le regard à nouveau figé vers la fenêtre. Où es-tu partie, Elise ?
La mémoire est une drôle de machine. Si fragile. Je filme Elise. Sa posture droite, l’expression de son visage à présent trop souvent perdu. Et je rêve.
Je rêve qu’elle se tourne vers moi, me reconnaisse, se souvienne de moi.
Les Plumes chez Emilie. Du thème NOSTALGIE, quatorze mots à placer : se souvenir, plus, famille, regret, heureux, madeleine, ainsi, aléa, apparaître, adolescence, résigné, rêver, restaurer, banana-split
Si je n’ouvre pas les yeux, rien n’existera, surtout pas ma nouvelle réalité, je pourrais alors imaginer que rien de tout cela n’est arrivé, imaginer le monde comme j’aurais aimé qu’il soit, sans les disputes incessantes ; les cris le matin, les cris le soir, les objets qui valsent avant de se fracasser sur les murs, parce que, hein, si c’est moi qui fait le plus de bruit, c’est moi le plus fort, c’est comme ça à la maison, pas de répit dans l’affrontement, même la nuit ça gueule encore, à croire qu’ils ne savent pas comment faire autrement pour retenir la rage et le manque d’un truc que je ne comprends pas, sans doute parce que je ne l’ai jamais connu moi non plus, alors bien sûr je rêvais de silence, d’un silence empli de toutes ces choses que j’entendais chez les autres, un silence bordé de murmures d’affection, je rêvais, oui surtout depuis que j’avais trouvé mon propre silence, celui qui se frayait une place de choix dans les cris, il suffisait que je mette le casque pour écouter la musique, et là, y avait plus rien qui m’atteignait, les notes se mêlaient aux chants, c’était comme des voix qui venaient du ciel, ça me transportait loin, ça m’aidait à faire abstraction, oui ça m’aidait à tenir, j’avais même l’idée qu’un jour quand je serai grand, je pourrais moi aussi apprendre, et pourquoi pas créer un air qui rendrait les gens plus heureux, il y avait des trucs comme ça qui me passait par la tête quand je mettais le casque sur mes oreilles, tout à coup, je n’étais plus réellement dans la maison, j’étais dans un lieu unique avec la musique qui masquait les cris et j’oubliais où j’étais et je me faisais oublier ; pas que je prenais beaucoup de place, hein, j’étais un gamin qui comprenait vite qu’y avait intérêt à ne pas rester à côté d’eux parce que sinon c’était moi qui recevait la fureur, celle qui s’accompagne de coups, des coups soudains solidaires, mes parents ils avaient cette idée en même temps, c’était seulement dans ces moments-là qu’ils s’entendaient, alors des fois, oui des fois, je m’inventais une autre famille comme celles des copains quand, à la sortie de l’école, leur mère se penchait pour les embrasser, je mettais le casque sur les oreilles, je fermais les yeux et la mélodie amplifiait l’idée qu’un jour je connaîtrai ça moi aussi et si je n’y croyais pas tout à fait, la musique que j’écoutais me donnait l’illusion, ça me suffisait et puis je me disais que moi aussi un jour je serai capable d’inventer du rêve, ça créait de l’espoir, oui comme un fou qui ne saisit pas la laideur du monde, j’imaginais le parfum léger de l’amour dans des bras qui ne me prenaient jamais, des fois j’y croyais si fort que lorsque mes parents cessaient de hurler, je ne pouvais pas m’empêcher d’essayer de me faire une place à côté d’eux mais c’était comme s’ils ne me voyaient pas, ou plus probablement qu’ils ne voulaient pas me voir, alors un jour j’ai pensé à un truc pas très intelligent, j’ai pensé que si moi aussi je me mettais à crier, j’existerai enfin à leur yeux, c’était pas très intelligent, c’est vrai, c’était pas malin, mais j’avais à peine dix ans, on fait quoi pour exister aux yeux de ses parents à cet âge-là, j’en savais rien, moi je voulais juste qu’ils me regardent vraiment, alors oui, j’ai crié pour exister un moment, et quand à leur tour ils se sont mis à hurler et à frapper j’ai pas pu faire autrement que laisser faire ce qu’ils savaient si bien faire jusqu’à ce que je n’entende plus leur cris, non, plus aucun bruit, ils y ont tellement été fort que maintenant c’est le silence tout le temps autour de moi, mais pas en moi, non pas en moi, parce que, si à présent je n’entends plus leurs cris, c’est pareil avec la musique, et croyez-moi y a pas plus violent que ce silence-là car j’ai perdu la seule chose qui me tenait debout et depuis, y a pas moyen de l’empêcher, maintenant c’est les larmes à l’intérieur de moi que j’entends tout le temps. Tout le temps.
Avec le chaleureux assentiment de Laurence Délis, Voyage Restropective I et Voyage Restropective II, Je vous propose de continuer ensemble cette invitation au Voyage, inspirée de ses fabuleuses œuvres. Merci à Laurence pour ces belles représentations.
Nous ne cherchions rien, nous avions découvert le fait même d’être en mesure de découvrir et l’indolence des mots couverts de nos appréhensions devenaient des furtivités incantatoires. J’imprimais sur certains parchemins nos évidences. Nous avions pu nous délivrer des modalités du monde et c’est à ce moment même qu’il se conçut un miracle inouï : nous n’avions plus besoin de manger, ni de boire, ni de vivre les occupations communes. Nous nous étions échappés du rêve. De l’autre côté, nous avions chapitrés les moments ininterrompus de notre interrogation. L’éphémère était une discipline, le réveil une trêve. Nulle vicissitude. Nulle astreinte. Nous rîmes tout le temps d’une seconde, celle qui fut l’apparition furtive…