T’aimer

à l’horizon des vagues dans le vent
dans le silence des voix et le chant de la mer
à l’épaule caressée comme au premier matin
je te regarde
et au bruit du monde en furie
j'écoute l’essentiel

à la lumière des années qui passent
peut-être est-ce cela l’amour 
dans l’âge des corps qui se fanent 
cet instant tendre et sauvage
de la vie qui circule 
en murmures fous et sages

De l’élan d’aimer

Sous la confusion de la déraison
et l’évident mirage des illusions retenues
il y aura toute la fougue de l’ordinaire
dans l’histoire qui nous lie
je saurai prendre toute la mesure du souffle 
qui par vague
défie les fissures et autres craquelures
les obstacles du voyage
pour étendre l’envol de la source
vers le fleuve qui danse
et bercer nos cellules 
de l’élan d’aimer

Comme on s’abandonne

Quand le brouillard se lève au-dessus du fleuve et grossit les voiles du ciel 
le jardin en pause dans l’automne qui s’éloigne
on cultive la permanence comme toute correspondance
et je goûte ta voix et le silence qui suit
et te regarde comme je me vois


aux signes tangibles des plis du corps
on apprivoise nos peaux nouvelles
on se surprend jeunes éternels puis séculaires
sans vouloir que le temps ralentisse
non
il s’accorde comme on s’abandonne
nos âmes en accord
vibrent d’y voir le sens de tous les jours à venir

Samedi, nuit d’été

Samedi, nuit d’été.

Je t’écris à l’heure où l’horizon s’enflamme de couleurs tropicales. Ici, après un long hiver sec, le thermomètre affiche des records de canicule. Le vent du sud souffle depuis plusieurs jours. Le saule pleureur effleure sans cesse la surface flétrie du lac pendant que les branches du chêne dansent un ballet farouche. Je me rappelle ces après-midis d’été où tu dessinais sur ton carnet, assis sur le ponton, les pieds dans l’eau. Chaque détail esquissé révélait le plaisir de saisir la lumière sur l’eau, l’ombre des roseaux, le vol d’un oiseau. Je te voyais depuis la fenêtre de l’atelier, concentré sur ton travail, et je restais immobile jusqu’à ce que tu tournes la tête vers moi. Je devinais ton sourire dans ce geste silencieux que tu m’adressais. Je n’avais pas besoin de plus que ce signe pour me remettre à peindre jusqu’à la tombée du jour. Il accompagne encore ma main sur la toile aujourd’hui comme le prolongement de ce que nous sommes l’un pour l’autre.

Je suis passé voir ton père. Il râle contre toi qui as décidé de faire ce voyage, contre moi qui t’ai laissé partir. Il a moyennement apprécié la carte postale que tu lui as envoyé avec la citation de Lamartine « la vie est un mystère et non un délire ». La fraîcheur de son accueil a cependant été de courte durée lorsque j’ai éventé notre petit secret. Mon ventre s’arrondît et comme en réponse à la vie qui pousse en moi, je peins des toiles immenses animées de passion et de couleurs vives.

Les cigales se sont tues. Le chant des grenouilles envoute la nuit et le lac. Je vais dans le mouvement lent de ceux qui aiment, respirer le parfum sauvage de la sève et je t’attends sans impatience. Tu le sais bien, nos âmes ont dans le regard le reflet de nos étendues vastes.  

Les plumes chez Emilie. Du thème Fièvre, treize mots à placer : regard, délire passion, danser, samedi, nuit, thermomètre, tousser, ombre, fraîcheur, envouter, enflammer, éventer

L’aimée

Photo : Pinterest

Après l’amour, dans l’indolence du sommeil qui t’habite, l’univers se redessine. Lorsque je te regarde, j’ai la certitude que tout est à sa place ici-bas. J’entends la musique de ton souffle, la respiration lente et veloutée de l’apaisement. La nuit se fait jour dans le regard que je porte sur toi. Un regard de l’ordre de l’universel, c’est ainsi que je t’aime. Mes doigts effleurent ton corps et t’arrachent un frisson, ta peau blanc crème couverte de chair de poule m’émeut. Il demeure dans ce geste, ce désir renouvelé de tous les possibles, la latitude des différences qui rassemblent. C’est une sorte de combat que l’on mène sans heurts. On passe outre l’intolérance et la violence d’un rejet encore fortement présent. Et lorsque je m’endors à mon tour, ma main — peau noire posée sur ton sein clair — retient la couleur du réconfort.

Au matin, devant la fenêtre ouverte tu inspires l’air iodé. Des perles de rosée nuancent le pré d’à côté où paissent des brebis et leurs petits. À l’horizon, la marée basse offre aux baïnes le reflet du ciel. On marche jusqu’à la plage. D’instinct, nos mains se cherchent, se touchent, s’enlacent, se fondent dans le même élan. Comme on incorpore généreusement les sentiments, on harmonise l’intimité, révèle la raison d’une union heureuse et colorée. Nous flânons tout en ramassant quelques berlingots de mer. Le vent marin se mêle à tes cheveux dorés comme le miel. Je croque ton sourire et le parfum du chocolat sur tes lèvres.

Les Plumes chez Emilie. Sur le thème LAIT, 13 mots à placer : miel, perle, brebis, crème, sein, velouté, traire, chocolat, poule, berlingot, intolérance, incorporer, instinct. J’ai laissé de côté, traire.

Ce silence

 Crédits : A-Digit – Getty

Écoute, si tu veux m’aider va me chercher un tasseau de bois, dit mon père. Tu te souviens où ils sont entreposés ?

J’ai hoché la tête et redescendu prudemment le ponton glissant. Il a plu un peu plus tôt. De la pluie toute fine, à peine visible que j’ai goutée avec ma langue, comme pour avaler le temps maussade et cette douleur ample qui ne me quitte pas depuis des semaines.

Tout est gris depuis mon arrivée ici. Le ciel, la mer, les rochers. Mon cœur. 

Je regarde ce père que j’apprends à connaître. Aujourd’hui, il répare le garde-corps du ponton. Il n’est pas bavard. Ça ne me gêne pas, moi je ne parle plus depuis que maman est partie. Au début, j’ai eu peur qu’il m’oblige à lui dire les choses. Mais non. Il a dit avec un sourire timide, un sourire qui s’excusait presque, qu’il faut du temps pour s’apprivoiser. C’est vrai, j’ai pensé. Si je ne le connais pas, lui non plus ne me connaît pas.

Le vent rugit sous les tuiles. Les vagues claquent contre les rochers. De la fenêtre du salon, j’observe le vieux poirier se tordre sous les bourrasques. C’est comme une danse sauvage, une danse des éléments parce qu’il pleut si fort que je ne perçois plus grand-chose au-dehors, hormis le bruit. Sacrée tempête, hein ? dit mon père, accroupi devant la cheminée. Il remue les braises, ajoute une bûche dans l’âtre. Le bois craque sous la chaleur. Ici, sur l’île, les sons les plus anodins se déploient davantage qu’en ville. La pluie, le vent, les cris d’oiseaux, le ressac. Et puis les bruits de marteau et de scie également parce que mon père répare tout un tas de choses pour les habitants. Des bateaux, des portes des maisons et des meubles cassés. Il a un cahier où il dessine des plans et des croquis détaillés. Il m’a acheté le même que le sien. Pour dessiner si tu en as envie, m’a-t-il expliqué. Mais dans le mien, j’écris plutôt des mots. Tous ces bruits que je reçois comme des histoires qui ne demandent qu’à naître.

Dans le jardin, à côté de la cabane à outils se trouve un vieux cyclo-pousse. Si vieux qu’il ne roule plus depuis longtemps. Je suis monté dedans, ça grince de partout et la sonnette ne tinte plus. Quand mon père m’a vu, il m’a hissé sur la selle et même si je n’atteins pas les pédales j’ai fait semblant de pédaler. Tu as raison, a-t-il dit, il est temps que je le retape et tu vas m’aider. Une fois qu’il sera fonctionnel, on fera le tour de l’île tous les deux.

On a travaillé dessus tout l’hiver. Mon père a pris son temps. Rien ne presse, disait-il quand il me voyait impatient. Il faudra attendre les beaux jours pour partir.

Alors j’écoutais les bruits qui nous entouraient et qui au fil des jours devenaient familiers. Le vent, la pluie, les cris des cormorans. Et puis tous ceux que j’entendais quand on réparait le cyclo-pousse. C’étaient des bruits de ferraille que l’on redresse, de pneus à changer, de chaine à retendre. Tous ces sons se mêlaient à notre labeur et nous rassemblaient. Je ne parlais toujours pas et papa ne me le reprochait pas.

Il y avait ce silence entre nous. Un silence bordé de complicité, comme un bruit étrange et beau que je ne savais décrire. Peut-être, me fallait-il simplement le vivre.

Pour l’agenda ironique de mai, sans ironie mais ça ce n’est pas nouveau chez moi 🙂

Jardiner le printemps à venir

Il est dix-huit heures. Le crépuscule noie sa solitude au milieu des derniers passants.  On s’est donné rendez-vous rue Ménager. On a escaladé le muret, puis la grille fermée du parc. Il y a comme une urgence à vivre qui dépasse la peur. Ce n’est ni de l’inconscience ni de l’obstination à contourner les lois. Je crois que c’est juste vivre. Un désir d’espérance au creux de la désespérance.

On a enlevé nos masques. Je me suis couché de tout mon long sur l’herbe humide. Tu t’es déchaussée. Tes pieds nus dansent sur la mousse. J’inspire fort le parfum de la pluie tombée un peu plus tôt. Les arbres aux branches lourdes de bourgeons prêts à éclore bougent dans le vent. Me revient en tête Renouveau le poème de Mallarmé. Dans le ciel, les nuages voilent les premières étoiles, mais la lune ronde est pleine et laisse entrevoir ses rayons. Je pourrais presque m’imaginer jardiner le printemps à venir. Au loin, on entend les voitures, un avion. Ce n’est pas le silence que l’on a pu connaître l’an passé, ce n’est pas la même anxiété qui nous tient. C’est de l’ordre de la détresse et ça nous ronge sans bruit ni heurt.

Hier, un étudiant du campus a sauté du pont et s’est noyé dans le fleuve. Tu m’as rejoint dans ma chambre. Allongée contre moi, dans mon lit étroit tu as pleuré une partie de la nuit.

Demain, c’est samedi. On ira faire la queue à la banque alimentaire. Si le soleil persiste, on traversera la ville avant de rentrer bosser nos prochains partiels. Tu mettras ton chapeau et je prendrais ta main.

Ce n’est pas grand-chose mais les graines que j’ai plantées dans le pot de confiture ont germé. On est là, penchés tous les deux devant ces quelques brins tendres, la mine réjouie. Tu m’as regardé de tes grands yeux vert émeraude puis, avec lenteur, tu as effleuré mon sourire d’un baiser.

Les Plumes chez Emilie. Du thème vert 15 mots à placer : tendre, jardiner, émeraude, rayon, arbre, renouveau, espérance, graine, peur, chapeau, danser, soleil, mousse, ménager, mine

Crédit photo Pinterest

Elise

La caméra super 8 avait été un cadeau commun de la part de toute la famille. C’était souvent le cas avec les cadeaux qu’Elise et moi recevions. Un cadeau pour deux, comme si le fait d’être né le même jour justifiait une telle idée. Elise l’avait monopolisée pendant plusieurs semaines. Elle s’était créé une nouvelle identité, une profession – reporter de guerre – et les voisins et moi n’avions pas eu réellement le choix. On avait dû se résigner à être ennemis et à courir, sauter, se vautrer dans la boue pour coller au plus près des personnages. Elise avait de l’imagination à revendre mais ses scénarios laissaient à désirer. Il fallait toujours concevoir de nouveaux défis, explorer son inventivité aussi loin que possible. Cela ne durait guère cependant et j’avais appris à patienter, jusqu’au moment où, lassée de son rôle et du cadeau qui allait avec, elle l’abandonnait sans le moindre regret.

Une fois la caméra en main, elle devint une extension de mon bras, de mon regard, de ma vision du monde à travers celui de ma sœur. La première fois que je filmai Elise, elle chantait Banana-split dans le salon et se dandinait en tenue rose fuchsia comme Lio dans le clip qui passait à la télé. Elise aimait vivre vite, se saouler d’aventures de toutes sortes. Je la considérais, émerveillé par son appétit si grand. Elle aimait fort, et notre lien particulier se nourrissait de cette énergie. Ne t’arrête pas de filmer, Eliot, disait-elle, tu es notre mémoire.

Je filmais ainsi l’adolescence d’Elise. Elle apparaissait tantôt lumineuse, tantôt incertaine. La transformation de son corps, sa pudeur nouvelle. Sa vie d’adulte. La mélancolie qui surgissait sous les éclats de rire. Et sa fragilité me heurtait comme un rappel. Le bonheur ne pouvait être capturé. Je recueillais avec quelques avidités toutes les heures heureuses, comme pour prévenir les jours sombres et si elle mit des réserves sur les moments douloureux qui jalonnent toute vie, elle me laissa libre de filmer ses aléas. Son mariage, ses enfants, son divorce, son premier petit-fils. Elle était si fière d’être une jeune grand-mère, se moquait gentiment de ma lenteur à vivre. – Je n’ai rencontré ma femme Madeleine que dix ans après le mariage d’Elise. Ainsi, étape après étape, nos existences restèrent imbriquées l’une dans l’autre.

Aujourd’hui, je montre à Elise mon premier film restauré, celui où elle danse et chante sur Banana split et pendant un instant un sourire égaye son visage puis comme pour beaucoup de choses, elle s’en désintéresse rapidement. Elle est assise dans son fauteuil préféré. Son attention est portée vers la fenêtre de sa chambre, là où les arbres du parc se balancent doucement dans la brise. A un moment, elle se lève et j’oublie que je filme. Je la regarde, je murmure son prénom comme pour la ramener vers moi, mais elle s’éloigne déjà, le regard à nouveau figé vers la fenêtre. Où es-tu partie, Elise ?

La mémoire est une drôle de machine. Si fragile. Je filme Elise. Sa posture droite, l’expression de son visage à présent trop souvent perdu. Et je rêve.

Je rêve qu’elle se tourne vers moi, me reconnaisse, se souvienne de moi.

Les Plumes chez Emilie. Du thème NOSTALGIE, quatorze mots à placer : se souvenir, plus, famille, regret, heureux, madeleine, ainsi, aléa, apparaître, adolescence, résigné, rêver, restaurer, banana-split

Crédit photo Pinterest

Sous le chêne

Tandis que j’avançais la confiance fragile, Julie débordait de naturel et d’assurance et croquait l’existence avec enthousiasme. Dès les vacances, elle arrivait au village, délaissait les robes et se vêtait d’une jupe-culotte usée, d’une paire de baskets aux lacets colorés et pull trop grand. Le petit bois à la sortie de la commune était le lieu de nos rendez-vous. Enfants, nous jouions à qui franchirait à vélo le « fossé de la mort ». De belle largeur, bourré de feuilles et de glands selon la saison, il fallait pédaler vite, ne pas ralentir l’allure et une fois le fossé traversé, esquiver les racines du vieux chêne. Je ne comptais plus le nombre de chutes, les genoux et les mains écorchés en dérapant dans l’entrelacs des racines. Entouré d’une majorité de pins, de fougères et de bruyères, le chêne était immense et large, ses branches si basses qu’il abritait la plupart de mes confidences. J’y venais de temps à autre déverser l’absence de mon père et la tristesse de ma mère. Quelquefois Julie m’y rejoignait. L’arbre devenait alors notre foyer. On s’allongeait dessous, les bras croisés sous notre tête. Nos vêtements s’imprégnaient des odeurs de la terre. Je respirais à plein poumons celle des feuilles et celle de la résine des pins maritimes jusqu’à saisir le parfum discret de Julie.

L’hiver, le chêne nous protégeait de la pluie, et malgré l’humidité et le froid, le moment était paisible. L’été, sous les branches, le soleil se dévoilait par intermittence et Julie tendait son bras, bougeait les doigts de sa main d’un geste délié et gracieux. Sa peau blanche découverte se revêtait tantôt d’ombre, tantôt de lumière. Julie jolie, pensais-je sans le lui dire. Ses petits seins bombés sous le débardeur, ses lèvres charnues, sa chevelure brune, les courbes rondes de son corps. Le parfum de sa sueur mêlé à celui de son savon. C’était tout un ensemble qui fusionnait, balayait le vide de ma vie sentimentale. Je regardais Julie, je me disais qu’elle n’ignorait rien des sentiments qui m’animaient alors qu’elle me parlait de ce garçon qui l’attendait en ville. Sous le chêne, protégée des regards et des jugements, Julie m’autorisait à l’aimer en silence. Ce fut là, sous l’ombre rassurance des lourdes branches, le dos calé contre l’écorce que je compris combien mon attirance pour les filles allait me compliquer l’existence au village.

Pour être libre d’aimer toutes celles qui voudraient bien de moi, il me fallait partir.

Pour les plumes d’Asphodèle chez Emilie Du thème NU, 14 mots à insérer dans le texte : découverte, blanc, vide, confiance, croquer, naturel, grand, métal, dévoiler, culotte, tête, froid, foyer, fusionner. (j’ai fait l’impasse sur métal)

A distance

Toutes ces heures immobiles

sans se serrer dans les bras

et toutes les fois où ta main ne se pose plus sur ma joue

je rêve du geste prenant le pas sur le verbe

la chaleur de ton regard ne suffit pas

je crève de tous les manques

je meurs de t’aimer à distance .

Crédit photo : source inconnue

Cinq ans

Voilà cinq ans paraissait mon premier roman Lila. De nos jours, cinq ans pour un livre c’est pour ainsi dire l’oubli. Pourtant les lecteurs sont là. Moins nombreux certes, mais tout aussi présents. Et leurs retours me touchent chaque fois, comme si c’était le premier reçu. Merci à vous qui poussez la curiosité de lire une auteure inconnue. A vous qui m’offrez la joie de retours émouvants, de retours qui parfois font échos à votre histoire personnelle. A vous qui prenez parti pour Lila ou Gabriel (les deux, souvent) et me dites tout ce que vous pensez d’eux.

Le personnage de Lila et celui de Gabriel ont vu le jour alors que j’étais encore adolescente. J’ai attendu plus de trente ans avant de m’autoriser à écrire leur histoire. La première mouture a été écrite en deux mois, dans la frénésie de l’inspiration. Et durant toute cette période intense, la musique a fait partie intégrante du processus de création. En particulier « Le vent nous portera » de Noir Désir. Désormais cette chanson est liée à ce roman et à chaque écoute, Lila et Gabriel sont là aussi. Notamment avec cette belle interprétation du groupe québécois Mea Culpa Jazz que je viens de découvrir.

Après de longs mois de réécriture et de relecture, avec l’aide et le soutien des éditions iPagination, Lila a vu le jour le 2 octobre 2015.

J’avais oublié la mer

C’est la route la plus longue que je connaisse, un itinéraire qui replie mon passé, emporte le présent, défie l’avenir. Douze ans que le temps s’étire du manque. Douze ans que maman m’a pris dans ses bras pour m’emmener loin de toi. Douze ans sans te voir, douze ans à subir le chantage affectif maternel, douze ans à espérer que les tensions s’apaisent, douze ans à projeter mon retour.

Je n’ai plus de repères et toute mon assurance vacille. Sur la route tout se mélange.

La ville s’étend, tentaculaire, avale les terres, résiste à la mer. J’avais oublié la mer.
Je reviens, papa, je reviens.

Une photo, quelques mots. Atelier Bric à book 378

Aimer

Allongé dans l’herbe piqueté de rosée, Nathan, d’un doigt levé, trace sans effort le ciel ombragé et, sous la lumière discrète et la patience du jour, il modèle le caractère du fleuve jusqu’à étreindre l’argile sans faille. Nul besoin de se tracasser de l’absence de Mila, de s’énerver du manque, Nathan anime le verbe dans l’inventivité. Il s’attendrit des mots que sème Mila au cours de sa marche vagabonde, du rien qu’elle transpose en plein.

De ses mains agiles les liens du temps papillotent et chatouillent le vent. Sans impatience, Nathan sculpte l’air dans le rythme lent de l’attente. Il pense à Mila qui voyage. Il pense aux caresses qui courent sur les corps nus, au souffle qui frôle les lèvres ouvertes, au sable qui avance jusqu’à effacer les faiblesses. Les silences, vecteurs du courage d’aimer prennent alors sens. La source coule d’évidence.

Et quand, à l’aube de l’été Mila revient, elle qui excelle à jouir de l’instant, prend Nathan à l’intérieur de ses bras pour franchir tous les ponts de ceux qui s’aiment d’audace.

Tu es rentrée, dit Nathan qui l’enlace à son tour pour l’accueillir.

Les plumes d’Asphodèle chez Emilie. Du thème FORCE, les mots récoltés à placer sont effort, rentrée, patience, courage, faiblesse, caractère, poil, vecteur, rien, éteindre, exceller, énerver. Comme souvent, j’ai fait l’impasse sur l’un d’eux et joué avec « rentrée » que j’ai détourné 🙂

Portrait de Lise

Pastels à huile sur canson (21×30)

Quand Mathieu dessine c’est au changement de pose que le corps de Lise se métamorphose. Du trésor intime il ouvre la voie à l’inspiration démesurée. Il passe du noir à la couleur. C’est un voyage aux rythmes variables, aux subtiles liaisons qui relient le négatif au positif.  Il crée. Il crée l’espace et la matière et d’une inflexion imaginaire, fait naître un équateur idéal aux chemins changeants.

Il mesure l’ombre au creux des lignes et, le geste large, il esquisse les arrondis vastes, les rondeurs courbes jusqu’à conquérir le mouvement furtif du trait. D’un doigt il écrase la craie grasse, l’applique aux contours, gonflant les formes, exagérant les parallèles, traquant la moisson de couleurs comme une exubérance estivale. Il élargit le monde avec une pointe d’obsession cardinale. Il épouse l’air, la terre, la chair. Hume la peau épicée, effleure et pétrit l’abandon du corps ; toute liberté que Lise lui concède.  

Puis comme signature, appose au coeur de la toison brune, une petite étoile blanche.

Les plumes d’Asphodèle chez Emilie. Du thème latitude ont découlé les mots suivants : changement, voyager, étoile, mesurer équateur, positif, vaste, parallèle, liberté, trésor, cardinal, courrier, conquérir. J’ai laissé de côté le mot courrier

Le dessin « Portrait de Lise » a été crée à partir du texte. J’ai utilisé les quelques pastels à l’huile retrouvés dans le fond d’une boite de matériel de peinture.

L'amour au temps du corona

Ce matin comme tous les matins, Nathan a rempli de graines le nichoir qu’il a fixé tant bien que mal sur le rebord de sa fenêtre. Les oiseaux sont de plus en plus nombreux à s’y arrêter. C’est l’unique fenêtre de son studio mais il mesure sa chance d’habiter au quatrième étage parce qu’elle s’ouvre presque sur le ciel, contrairement à son voisin du rez-de-chaussée, qui elle, est munie de barreaux. Lorsqu’il se penche sur la droite, Nathan peut apercevoir un jardin lointain et s’il plisse les yeux il distingue le vent bercer les branches d’un figuier près d’une cabane d’enfants.

Nathan s’est levé tard. La nuit dernière il a tchatté avec son meilleur pote reparti chez ses parents, comme la majorité des étudiants. Le veinard le nargue avec les bons petits plats préparés par sa mère et lui a même avoué apprécier se faire cocooner.

Nathan attend midi pour sortir de chez lui. Midi, c’est la bonne heure. Pour Nathan qui exècre les habitudes, il reconnait que depuis quelques jours elles sont de l’ordre du plaisir rare. Il marche sans se presser, son autorisation de sortie en poche, empruntant un trajet différent de celui de la veille et de l’avant-veille. Sur le pont qu’il traverse, il se demande depuis quand il n’a pas pris le temps de s’arrêter pour observer les tourbillons d’eau et le courant courir à toute vitesse vers la mer. Toutes sortes de pensées le traversent, dont un maelstrom de créativité qu’il se promet de mettre à profit une fois rentré.

Les rues désertées ont des allures de fantôme, la ville respire le silence. Nathan croise un homme et son chien, l’un et l’autre indifférents à sa présence. Sans le tragique de la situation, on pourrait croire le monde en sommeil. C’est un peu cela, mais pas tout à fait non plus. Sous les yeux de Nathan le printemps renait, il entend sans mal le chant des oiseaux autrefois masqué par les bruits de la ville. Sur les branches des arbres, les bourgeons éclatent un peu plus chaque jour en nuance de vert. Nathan enfle ses poumons de l’air gorgé de soleil en parcourant le boulevard où les voitures sont aussi rares que les passants.  

Devant la boulangerie, il attend avant de pouvoir entrer – distance de sécurité obligée. Il attend sans hâte parce que l’attente est belle.

Au moment où il passe le seuil de la boutique, le parfum du levain et celui des viennoiseries emplit ses narines. C’est ainsi depuis trois semaines, depuis le jour où le moral en berne il a poussé la porte de cette boulangerie. Il reçoit à chaque fois un concentré d’odeurs aux arômes de douceur et en prime le sourire de Lisa.

De Lisa, Nathan ne connait que son prénom et son bonjour chaleureux. C’est un bon début, pense-t-il.

Confiné dans son studio le reste du temps, Nathan reçoit comme un présent le moment où Lisa lève son bras et saisit la baguette de pain puis lui demande si ce sera tout. Et si Nathan hésite à prendre autre chose, ni l’un, ni l’autre n’est dupe de cette hésitation. C’est le temps du plaisir de se regarder quelques secondes de plus. L’espace d’un instant Nathan et Lisa oublient la peur, ils la claquemurent si loin que tout semble les protéger du danger. Et lorsque Nathan tend sa monnaie et se penche subrepticement vers Lisa, au frôlement de leurs doigts, les deux jeunes gens, sans un mot, imaginent tous les possibles d’un lointain jour à venir.

Les plumes d’Asphodèle chez Emilie. 13 mots inspirés d’après le mot ABRI: Sécurité, jardin, créativité, nichoir, cocooner, Kot (facultatif car Belge) protéger, courir, claquemurer, cabane, pensée, bras, bon.

Rouge

Je balaie la colère
Et toutes peurs 
C'est la vie
La vie qui s'enfuit
Et celle qui nait au sorti du ventre de nos mères
Et si la porte mène au sang de nos pères
Transfuse du passé au présent
De la peine à la douleur
Je vais grandir de l’intérieur
Faire face
Et ne pas oublier que les jours qui passent
Est sang d'équilibre et de silences paisibles
Quand celui de tes lèvres
Trouble le rouge des miennes

Une photo, quelques mots Bric à book 360

Photo : ©Steven Roe

Les métamorphoses

Illustration : ©Christophe-Louis Quibé

La main tremblante, abandonnant sa révolte, Pierre frôle Sara. Il se penche et parle. La regarde. Les distances faiblissent. Il lit les espaces entre les lignes, cette transparence des sens éveillés, le partage des corps allongés dans l’ombre. Contre elle, Pierre entre en elle. Le langage des métamorphoses chasse alors la désolation et les déserts, absorbe le limon et la glaise, éloigne les tempêtes. Attendri, il la revêt de rêves, réinvente les ciels immortels. La contemple, épris. Terre franche, tantôt visible, tantôt invisible. Expressive. Attisé par les arrondis clairs de la chair, dans les corps déployés, brassés, associés, gestes animés, le désir enfle ; il libère la sève. Le regard ample, il embrasse ses lèvres. La regarde.  

Sur une idée de La Licorne : un lipogramme en U et un titre imposé sur 7 proposés.

Avant de dormir

Credit photo Pinterest

Traversée d’un élan sourd

Les yeux portés sur la langue de mer sauvage

Goûtant des lèvres le vent et l’iode

J’étreins tout ce que la terre porte d’essences

Et tes bras autour de moi

Rivent le temps

A l’étendue sensible de nos sens

Octobre

Crédit photo Pinterest

J’ai planté mes pieds dans le sol pour arrêter la course des ans

Et ta main,

ta main si ample a enrobé la courbe du temps

Jusqu’à ton souffle sur ma peau à la couleur pâle d’octobre.

Dans le silence de la terre le lent ballet des oies sauvages élargit le ciel

Et l’on sommeille tous deux

Eternels