des racines aux méandres de terre et de pluie tendre vers la lumière

des racines aux méandres de terre et de pluie tendre vers la lumière
J’ai vu la pluie frapper la terre et la course vive des fleuves charriant les bois et les corps. C’était un matin pâle d’hiver où les digues des hommes d’importance se sont écroulées dans le fracas des villes sans âmes. On voyait sombrer les immeubles et les arbres se dresser dans le vent hurlant. On savait. Bien sûr que l’on savait. Les exodes avaient commencé depuis moins de dix ans. Des familles incomplètes arrivaient dans les villes surchargées. On ne parlait plus de migrants ni d’étrangers mais des sans peuple. Sans racines. Où porter le regard quand ton pays n’existe plus que sur des cartes obsolètes ?
J’ai vu la terre s’ouvrir, cracher le feu de la colère et de la souffrance devant les hommes qui se détournaient, obsédés par l’ivresse du pouvoir et l’ambition d’égaler les dieux. La mort guette, la mort abonde dans la pauvreté des sols souillés et la faim dans les yeux des enfants. Dans les pandémies répandues sur le monde, sans limite ni frontière.
J’ai entendu le refus de l’évidence tandis que les stigmates de notre planète fossilisaient nos corps fragiles. J’ai vu des hommes et des femmes s’armer de colère pour en faire leur force, tourner le dos à la décadence, se relever de l’accablement et de l’usure de l’âme.
Tout ce qui compte est à portée de main. Dans le chant de l’eau et celui des oiseaux. Dans le rire des enfants qui jouent dans les arbres. Dans le soleil qui réchauffe mes vieux os. Dans l’espérance. A toi je peux le dire, il y aura bien des combats encore à mener, bien des terres à guérir et des peuples à nourrir. A toi je peux te le dire, tu n’es pas encore né et pourtant, je le sais, tu es déjà prêt.
C’est alors qu’elle leva les yeux. Les poissons nageaient dans les herbes hautes et, à la source, le ciel transparaissait entre les frondaisons. Elle tendit la main, effleura l’eau du bout des doigts. Il pleuvait des nuages. L’orage vibrait et le son du tonnerre ricochait entre les pierres. Elle entendit rouler les promesses non tenues, les mots vains. Toutes plaies et brûlures. Et face à l’humanité en dérive, s’arma de patience. Je reviendrai, dit-elle. Je reviendrai à l’âge des murmures et des paroles sages. Le corps entremêlé aux alluvions, elle déposa dans l’argile la mémoire du monde et l’écoute des sens perdus puis sans heurt, sans bruit, entra dans le temps du rêve.
Parce que chaque détail est un univers en soi, un monde à réinventer, voici une balade à travers les horizons du ciel et de la mer.
A suivre…
Acrylique, encre de chine, Posca
Format 50 x 60
Alors que son ébauche avait bien avancé, il m’aura fallu ce premier mois de confinement pour retrouver la dynamique perdue vis à vis de ce tableau. Ce temps a défini le devenir de celui-ci et au fil des détails qui prennent formes, des couleurs qui émergent sur celles déjà posées, je deviens la toile, les formes, les couleurs. Je retrouve enfin ma place.
A suivre
Je porte en moi des millénaires d’existence, la patience de nos pères et la sagesse de nos mères. De la semence à la sève, la terre, le ciel, l’air et le feu m’ont façonné. J’accompagne les sources et le vol des oiseaux, le feu du couchant et la quiétude de l’orient.
L’histoire est récente mais elle prend naissance dans les temps anciens. Un matin, l’Homme a posé sa main sur moi et dans le flux de son sang, j’ai entendu le regard fuyant du monde et toutes traces des humains sans repères. Il portait en lui nombre de pensées en déroute, vacillait sur les brèches de l’existence, petit être usé par des siècles de bitume et de vanité. Ses racines, frêles et périssables avaient délaissé l’essentiel, négligé les modes et les façons de grandir. J’ai puisé loin dans le journal du temps pour lire la mesure de ses erreurs, les nœuds innombrables, les heures glaciales et les orages violents. Pour l’Homme j’ai absorbé les maux de la terre, drainé les trop pleins. J’ai plongé dans les abîmes pour y recueillir la mémoire et l’origine du monde, et dans l’intervalle, j’ai vu le corbeau planer près de mes cimes, tournoyant comme un radar en quête de réponses. La terre grondait, respirait l’air en souffrance et la peur des hommes sans foi. J’ai traqué chaque manque, chaque gouffre et réparé chaque vibration interrompue, offrant des courbes d’horizon et de l’audace, pour accueillir la vie. J’ai ouvert toute amplitude pour, tel un boomerang, lui permettre de revenir à la source. Alors, des racines profondes le chant des montagnes a jailli et dans la résonance du jour les ragots se sont tus. Et comme des notes de musique longtemps réprimées on a à nouveau entendu iodler les mers et le vent.
Pour les plumes d’Asphodèle chez Emilie. Du thème Echo ont découlé 13 mots à placer : montagne, mode, ragot, radar, corbeau, iodler, boomerang, hoquet, résonance, journal, gronder, profond, glacial. J’ai fait l’impasse sur hoquet.
Photo : © Lucile Duneau-Délis
En ce moment je travaille simultanément sur deux tableaux. Le chant de la Terre et Voyage V, deux univers différents, deux manières de peindre, deux façons de traduire tout ce que j’entends et perçois de notre Terre. Je pense à la vie. Fourmillante, intense, généreuse. Je respire. J’oublie la toile.
Les couleurs, le mouvement, la pression du pinceau, le geste précis du trait, sont autant de tableaux à l’intérieur du tableau. Vivants.
Un plongeon dans le tourbillon de la création.
Le chant de la Terre (détails)
Voyage V (détails)
Après le chaos, nous sommes partis. Au regard de nos fautes, la terre dévastée répand un silence assourdissant. Notre charge est lourde. A la hauteur des stigmates que nous avons créés.
Nous traversons les routes. C’est plus fort que nous, on cherche les arbres, le parfum de la pluie. C’est à celui qui le premier, verra un brin de lumière. Une trouée dans le ciel, la chaleur du soleil. Au milieu de la désolation, nous vacillons, incertains. Debout, certes, mais plus fragile qu’un nouveau-né. On avance sans réel but, sans réelle cohésion, chacun centré sur soi. Tout nous est étranger. Toi aussi, j’ai du mal à te reconnaître. Face aux lendemains inconnus, on lave nos erreurs passées et le goût des choses a la saveur oubliée de l’avenir. Il faudra du temps mais aujourd’hui, le temps, on en a à revendre.
Je vais te prendre la main, t’emmener loin ou tout près, qui sait. Ne plus suivre le cours mais reconstruire le jour. Pétrir la terre et la vie jusqu’à revoir ton sourire. Alors nous lèverons les yeux pour voir les caravanes flotter entre les forêts et les ruisseaux. Et dans la courbe des méandres nous n’aurons d’autres perspectives que celle de modeler le présent.
Crédit photo : pinterest
Le chant de la Terre : trois tableaux pour une écoute particulière de la Terre. Près de cinq ans après les avoir peints, comme une respiration nouvelle, l’envie de travailler à nouveau sur ce thème. A suivre…
Pour un meilleur aperçu de chaque tableau, cliquez sur les images
Le chant de la Terre I – II – III
Peinture acrylique, peinture relief
Format 80 x 80
« Le vrai domicile de l’homme n’est pas une maison mais la route, et la vie elle-même est un voyage à faire à pied » Bruce Chartwin
Peinture acrylique,encre couleur, feutres aquarelle, Posca.
Format 40 x 50
Selon le sens donné au tableau, le voyage prend une autre forme
30 x 40
peinture acrylique, encres, feutre Posca, stylo encre gel
La série des 10×10 est terminée. J’ai eu du mal à faire la jonction avec les 5 précédents, j’ai donc retravaillé le dixième avant de commencer le onzième tableau. Finalement la série complète va au delà du minéral au végétal. Pour les derniers tableaux, le ciel et l’air se sont imposés comme allant de soi et ce n’est qu’une fois les quinze tableaux terminés que j’ai réalisé que le premier et le dernier formaient la boucle reliant l’ensemble des autres.
Une nouvelle fois je constate que la contrainte – ici le format imposé – me lasse vite. Pendant la réalisation de ces derniers 10×10, comme une nécessité, j’ai travaillé en parallèle pendant la période des vacances scolaires une grande toile, la nuit, à l’abri du tumulte des jours. La lumière n’était pas excellente, sans parler de la fatigue mais le plaisir de « lâcher » tout ce qu’imposait les petits formats m’a permis de finaliser cette série.
La lecture de chaque colonne se fait de bas en haut
Rendez vous début décembre pour l’exposition où j’espère pouvoir faire une photo de l’ensemble des quinze.
photo Pinterest
Dans l’obscurité de la terre molle
Sous l’écorce brune
Et l’épaisse mousse
Vibre la progression silencieuse des racines
Et de la sève à l’intérieur du tronc
Palpite fort le désir de naître
Je suis la ligne tangible de ce qui suit
Aux allures sauvages des éléments
Dans la fureur sombre
De tous ces pas difficiles à franchir
Et de ce qui divise
Je traverse les plaines et le vent
Et dans l’obscurité des cœurs éteints
Je cherche le langage interrompu
La couleur des ressemblances et celles des différences
Les nuances des richesses
Et dans l’oscillation du souffle fragile et de la lueur vacillante
Je nourris la perspective
De tout ce qui rassemble
Peinture : ©Philippe Cognée
Quand la Lune trouble la Terre,
Les marées s’étirent
Jusqu’à l’horizon
Où la lumière
Cillent les flots d’argent
On est alors au début du monde,
En bordure de jour et de la nuit,
Là où sans bruit, sans heurt
Une petite perle d’éternité
Glisse sur le temps
C’est avant l’obscurité, quand en retour la Terre chuchote :
« De deux choses lune, l’autre c’est le soleil ».
Et tout l’univers d’approuver bien sûr
Et les hommes – microscopiques ‒, un jour peut-être, la conscience éveillée,
Cesseront enfin de se mirer dans les simulacres
Pour apprécier le manifeste renouvelé.
En juillet l’agenda ironique prend ses quartiers chez Louise Mathurinades et coquecigrues. On y parle de la lune comme on veut avec pour seule contrainte d’insérer une expression française comportant le mot lune. J’ai un peu biaisé avec l’expression française pour une citation de Jacques Prévert piochée dans « Le paysage changeur » Paroles (1946)
Les autres textes lunaires à découvrir ICI
Crédit photo : Pinterest
Ce matin tu t’es levé, le cœur bousculé par la réalité du futur présent. Pétri de colère, d’incompréhension et d’inquiétude. Tes illusions envolées à la lisière de tes dix, seize ou vingt ans.
La Terre au bord de la rupture. Ce n’est pas le titre d’un conte, ni un film à gros budget avec sensations fortes à grand renforts de trucages. Tu ne sais si l’histoire finira bien. C’est ta réalité. Et celle de ceux qui naissent aujourd’hui. Et toi qui décides d’avancer. Avancer pour renverser l’inertie des plus grands de ce monde, débattre de l’urgence d’agir. Et tu te moques des mégères qui jugent que ta démarche égale l’utopie. T’en as marre des égoïstes. Des individualistes harassés par le poids de l’indifférence. Des arrogants et des matérialistes. Et de tous ceux qui n’envisagent pas changer le cours des choses, encore moins s’engager à corriger leurs erreurs.
Petits êtres imbus d’eux-mêmes.
Toi, tu veux croire à des lendemains meilleurs. Lever les yeux vers le ciel et ne pas le voir gris quand il devrait être bleu. Tu souhaites des lendemains où la terre sera fertile, sans culture intensive, où consommer ne rimera pas avec excès.
Tu ignores où tout cela te mènera. Mais ça ne t’empêche pas d’avancer. Au contraire. Tu puises ta force dans ta détermination et la coalition, le mariage improbable du pragmatisme et de l’espérance. Tu veux pouvoir célébrer l’avenir, les pieds ancrés dans le sol, le regard porté vers les cimes des arbres et le haut des montagnes. Regarder les fleurs s’épanouir, les jonquilles et les soucis fleurir et orner de jaune vif les jardins. Tu refuses la censure des gouvernements sur l’état de la fragilité de la planète et la politique de l’autruche qu’ils appliquent. L’insupportable silence de ceux qui précipitent l’avenir vers la désolation. Alors tu marches. Et élèves ta voix. Avec des milliers d’autres.
Éveiller les consciences. Une promesse d’avenir qui côtoie le merveilleux. L’espoir des générations à venir.
Les Plumes d’Asphodèle et quinze mots à placer : MERVEILLEUX CONSOMMER MARIAGE SOUCI FLEUR MEGERE FRATRIE UTOPIE HARASSE HISTOIRE FERTILE ILLUSION CELEBRER CONTE CENSURE.
Les autres textes des Plumes à découvrir ICI
crédit photo : pinterest
Parce que nous sommes tous issus de la Terre. Quelques soient nos convictions, nos croyances.
A vous tous qui me lisez, je vous souhaites le meilleur.
Nous en rêvons parfois. Et comme les rêves la fragilité du lien reste palpable. Nous longeons la bordure des songes, les bras écartés pour garder l’équilibre. La cime des arbres se balance dans le vent du sud et celui du nord, les branches s’agitent en prélude de l’avenir, s’entrelacent dans l’amplitude des sentiments immenses. La Terre vibre presque sans bruit, on entend seulement le souffle des résonances en réponse à l’espérance. Et certains soirs il nous vient aussi cette aspiration, celle d’imaginer le monde de demain, un futur où les peuples seront rapapillotés, et celle plus secrète — celle que je garde pour moi —, où l’infini se dévoilera aussi dans tes yeux. Nous évoquons quelques souvenirs et tu insistes pour qu’ils demeurent sans regrets, alors on s’applique tous à les filer à toute allure sur les métiers à tisser et si un fil casse tu t’empresses de le réparer. Tes doigts œuvrent avec adresse dans un élan généreux et ça me fait toujours un drôle d’effet de te regarder travailler ainsi, comme si rien ne te semblait jamais impossible à saisir. Ni le passé sanglant, ni l’avenir incertain. Quelquefois j’ai le sentiment que tu es la seule à entendre les brins d’existence. Quand les peines et l’aridité des cœurs se dévoilent dans un cri à peine perceptible tu le sais avant les autres et lorsque dans un murmure les joies et les soubresauts d’un élan possible s’animent d’une inclinaison future, tu es la première à nous le dire.
Je rêve alors. Comme un môme qui s’éveille après un long sommeil, je flotte au dessus du vieil océan, je prends ta main et nous regardons courir le ciel. C’est parce que nous avons accès à ces rêves-là que je peux poursuivre la route, continuer à tisser une œuvre perpétuelle sur laquelle les liens unissent au-delà de l’univers. Dans l’atelier, fil après fil, années après années, nous, les tisserands de la Terre tissons le réel, et si quelques brins nous échappent, s’enrobent de songes et d’utopie, nous avons appris à les laisser courir eux aussi. Ce n’est pas parce que le monde ne s’y arrête pas, ne les voit pas, ne les entend pas, qu’ils n’existent pas, dis-tu.
Ma participation chez L’atelier sous les feuilles avec un joli petit défi : produire un texte à partir de trois mots imposés.