la symphonie de la pluie

alors que le sol aride
en quête de fragrance 
de rires et d'existence
chuchote 

sous la moiteur d'un été sans fin
et d'un ciel aux couleurs d'octobre
le fleuve en ondes d'argile
et terre fragile
patiente

c'est un chant ancien 
un air longtemps tu
perdu dans la chaleur
d'un automne caniculaire

puis
elle survient
martelant 
les jardins
la colline
la forêt
la ville
elle survient enfin

comme un souffle longtemps retenu
réinventant le chant infini
la symphonie de la pluie





Le rouge de ses bottes de pluie.

Amandine avait été élevée par sa grand-tante Emma, une vieille à l’allure fantasque dont on se méfiait dans le village depuis qu’elle avait enterré son trente-sixième mari. Plus les années passaient plus on trouvait douteux son goût pour les pierres tombales qui remplissaient le cimetière du village. La grand-tante gagnait sa vie en tirant les cartes – les arcanes du tarot n’avaient aucun secret pour elle ‒ et avait tenté d’initier Amandine. En vain. Celle-ci avait choisi une voie différente quoiqu’assez proche de celle de sa tante. Comme elle, elle connaissait fort bien les tréfonds de l’âme humaine. On pouvait parler de sixième sens, ou peut-être bien de tradition familiale déviante.

La vie d’Amandine était à l’image d’une pièce de théâtre et, ses journées, une scène sur laquelle elle transformait le monde. Saltimbanque, elle jonglait entre tragédie et comédie, savait d’un coup d’œil jauger ceux qui s’adressaient à elle. Elle avait le don pour deviner l’envers du décor chez ceux qui vivaient d’apparence et de malveillance cachée. Son crédo : arnaquer tous ceux qui usaient de leur pouvoir ou de leur aisance à écraser les plus démunis et les éconduits. La jeune femme avait à cœur de leur redonner l’assurance de l’avenir. Une sorte de robin des bois des temps modernes, disait sa grand-tante, avec fierté.

La matinée était bien avancée. Amandine se levait. La mine encore ensommeillée, les yeux vagues, elle offrait un portrait saisissant de candeur. La lumière de fin d’été éclairait l’intérieur de la maison. La décoration y était vieillotte, de style rococo. Le mobilier façonné de moulures et tarabiscots à foison qu’affectionnait Emma. Par la fenêtre ouverte de la cuisine filtrait le parfum de lavande fanée mêlée à celui des roses. Vincent se tenait devant, le regard porté vers le jardin. Comme une invitation à s’asseoir, du pain et du beurre frais, deux bols, une caféière de café étaient disposés sur la table de la cuisine, ainsi qu’un panier empli de fèves à écosser fraichement cueillies. Vincent avait roulé toute la nuit, s’était assoupi à l’aube dans sa voiture avant de reprendre la route. Le village où résidait Amandine lui semblait toujours être au bout du monde et c’était en quelque sorte le cas. Un petit bout de terre qui s’étendait vers la mer tel un bras plus large que long où les goélands et les mouettes se disputaient le ciel. Ici l’existence prenait des couleurs d’été en permanence. Surtout sous la pluie. L’hiver passé, un soir de pluie et d’odeur de feu de bois, Vincent y était venu pour enquêter discrètement sur la demoiselle. On chuchotait tout bas tant de rumeurs sur elle que sa curiosité de journaliste avait voulu percer le secret qui l’entourait. La première rencontre s’était tenue sous la pluie. Il se souvenait d’elle sous son parapluie. Le rouge de ses bottes de pluie. La lumière de son sourire.

Au bruit de pas, Vincent se retourna et fit face à Amandine. Il nota les pieds nus sur le carrelage, la transparence de la nuisette qui laissait deviner les courbes du corps. Ses cheveux noirs, détachés, quelques peu emmêlés. Une des bretelles du déshabillé tombait sur l’arrondi de l’épaule. Il avait déjà une foule de souvenirs d’elle, beaucoup d’autres à parfaire le futur et, depuis la rencontre sous la pluie, avait pris un abonnement à vie dans l’existence d’Amandine. Il laissa musarder ses yeux sur l’ensemble de l’apparition, puis la dévisagea. Sur les lèvres d’Amandine flottait un sourire heureux. Le cœur de Vincent s’affola.

Sous la houlette d’EMILIE, Les plumes d’Asphodèle reviennent. Quatorze mots à placer dans le texte : NUISETTE TRADITION TRENTE-SIXIÈME FÈVE NOIR TRÉFONDS ENVERS TARABISCOT BRETELLE MUSARDER ABONNEMENT ARCANE AFFOLER ARNAQUER

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Crédit photo : Pinterest

Vacances à la campagne

 

 

En villégiature dans la campagne anglaise, Holmes, assis dans un fauteuil Voltaire, le nez collé à la fenêtre regardait le rideau de pluie infini tomber du ciel gris.

Plusieurs points étaient à observer pour faire état de ses lamentables vacances.

Le premier, l’ennui. Indiscutable. Interminable. Les vacances de ce mois de juillet n’en finissaient pas. Watson, s’y plaisait, – il s’était pris de passion pour l’étude de la phrénologie et y consacrait la plus grande partie de ses journées – et pendant ce temps Holmes buvait son désœuvrement avec du thé arrosé de brandy.

Le deuxième point, le mauvais temps. Indiscutable. Interminable. Depuis des jours il pleuvait des cordes, ou des chats et des chiens, c’est selon de quel côté de la Manche on se situe. Toujours est-il que l’on frôlait l’inondation.

Le troisième, l’ennui encore et toujours. Le quatrième et le cinquième point : idem.

Parce que, autant vous mettre dans la confidence, Holmes était en manque.  Un manque grandissant qui mettait ses nerfs à vif. Il était pris de tremblements qu’il cachait à Watson en tournant en rond à en user le tapis du salon. Oui en manque. Manque d’énigme à résoudre, de mystère à découvrir, il frisait le spleen de la campagne.

Il fallait que cela cesse.

Comme pour conjurer cette énième mauvaise journée, Holmes vit tout à coup derrière le rideau de pluie une chose des plus étranges, comme un appel à ce qu’il sorte du cottage malgré le temps épouvantable. Ce qu’il fit, sans plus attendre. Il tenait enfin une chute digne à ce récit monotone.

Crouich, crouich chantaient les pas bottés du détective. Il avançait dans la gadoue, la tête baissée, faisant fi des rafales de vent qui annonçaient la tempête, pressé d’arriver sur les lieux parce qu’il en était sûr, oui, sans l’ombre d’un doute, aussi certain qu’une preuve dans la visée d’un microscope, il avait vu, comme je vous vois, à l’autre bout de la propriété, un pangolin se balancer sur la branche du vieux chêne. En s’approchant de plus près, il considéra l’animal. De part et d’autre la surprise s’affichait sur les visages. Voilà une affaire des plus étranges, estima Holmes. Il devait faire preuve de souplesse, ne pas laisser voir son étonnement, après tout il avait vu et assisté à bien d’autres troublantes affaires. Celle-ci n’en était qu’une de plus. Il prit le temps de bien observer le pangolin. Il avait un teint de porcelaine et portait une robe blanche ornée de minuscules fleurs brodées. Son sourire était doux, un rien moqueur. Son attention ne faiblissait pas. Il salua le détective mais ce fut la voix insistante de Watson qui perça de son timbre insistant, l’état de sa stupéfaction

– Holmes ! Holmes ! Vous m’entendez ?

– Bien sûr que je vous entends, grogna-t-il dans un sursaut. Inutile de crier.

– Eh bien mon ami, vous voilà de méchante humeur, s’exclama Watson. Décidément, faire un somme en milieu d’après-midi ne vous convient pas. Venez donc saluer Miss Pangolin qui nous fait l’honneur de sa visite.

Holmes se redressa avant de se lever de son fauteuil. La mine chiffonnée, le moral en berne, il toisa Watson avec contrariété. Point de pangolin, point d’aventure, point de mystère à résoudre. Juste un brin de somnolence et une miss assez jolie pour faire fondre le cœur de Watson et parfaire son propre ennui. Quelle ironie ! And last, but not least¹, pensa-t-il, en saluant Miss Pangolin. On ne m’y prendra plus, ça non. Terminé, finito ! Ras la casquette ! Ne plus quitter Londres, ne plus suivre Watson, encore moins l’écouter me vanter les mérites de vacances à la campagne.  I’m coming back home² !

En juillet l’agenda ironique prend ses quartiers chez Palimpzeste. Où il est question de faire revivre Sherlock Holmes le temps d’une histoire avec des mots à lâcher de-ci, de-là : phrénologie / porcelaine / chute / microscope / inondation / corde/  and last, but not least/pangolin.


¹ « dernier point mais non le moindre »

² « Je rentre chez moi »

J’attends le moment où…

images enfantspluie

crédit photo : inconnu

Année 2118.On ne parle plus de saisons depuis longtemps. Il pleut. Le jour. La nuit. Quelquefois, des espaces entre les nuages laissent apparaître une éclaircie qui redresse nos corps et nous fait lever les yeux. Le reste du temps la grisaille est partout. Certains jours, l’humidité de l’air se mêle aux bourrasques de vent.  Les arbres se balancent, les bateaux tanguent, les maisons sur pilotis, aussi. Le reste du temps le climat ne varie pas. Les pluies rythment la monotonie du temps.

Je me souviens quand j’étais môme, avec les enfants du quartier, on inventait des jeux : danse de la pluie sous les cascades, sauts par-dessus les rus qui sinuent tout autour de la ville, courses à fleur des méandres,  plongeons dans les ravines et bien sûr sauter dans les flaques qui stagnent sur les toits-terrasse. C’était notre jeu de prédilection. On s’imaginait alors le monde d’avant. Chaque flaque pouvait nous mener de l’autre côté de la terre, là où il ne pleut jamais. On rêvait le monde quand le soleil nourrissait la terre de sa lumière. Depuis, il parait que là bas, le soleil brûle autant que le feu, mais personne n’en sait rien, personne n’a été voir, tout du moins personne n’en est jamais revenu depuis l’expédition de 2058. À cette époque le danger avait déjà bouleversé le monde. Les trois quart de la population, la majorité de la flore et de la faune avaient péri. Le climat oscillait entre chaos et extinction et nous menaçait sans cesse. À présent, il pleut.

Moi, je suis né en 2102, le soleil je ne l’ai jamais vu, ni jamais senti effleurer ma peau.  Maintenant que j’ai grandi, je ne saute plus dans les flaques. Il faut bien bosser. On n’est pas si nombreux à pouvoir le faire. Consolider les fondations des habitations, construire, ériger la cité au-dessus de l’eau. Alors de temps à autre, sur le chemin qui mène au chantier de la ville, je m’arrête et je regarde les mômes sur les toits-terrasse. Et j’attends. J’attends le moment où ils sauteront dans les flaques. J’écoute leurs éclats de rire. Ce n’est pas le soleil, bien sûr mais ça colore et réchauffe quand même la Terre et le cœur des Hommes.

 

Sur une idée de La Licorne, le jeu consiste à écrire un texte en imaginant que nous sommes en 2118. Facile ? Oui, enfin, presque…  parce qu’aucun adjectif qualificatif ne doit figurer dans le texte.

Pas certaine d’y être arrivée… A l’occasion, à vous de le me dire 🙂

 

Ivres de pluie et d’étoiles

Tip ! Flip ! Flac ! Tip ! Flip ! Flac ! Comme un écho à mes blessures, j’entends la course des pas de l’autre côté de la rue, de l’autre bord du pont. Lentement je me retourne. Mes yeux scrutent la pluie et la nuit qui s’annonce. Tip ! Flip ! Flac ! Tip ! Flip ! Flac ! La pluie inonde le bitume et mes pieds. A la lueur des lumières de la ville qui scintillent dans l’obscurité je distingue sans mal l’ombre d’une silhouette. Oui, il y a quelqu’un là-bas, une ombre qui retient entre ses bras, la douleur. Dans la nuit, elle se reflète dans les flaques, elle flotte, en suspend, comme dans une attente informulée, mais elle est si proche du bord, si proche du vide que mon souffle a peur.
Il y a comme une pause dans l’air. Le vent a cessé un instant, laissant une trouée dans le ciel. La pluie pourtant ne cesse de tomber, mais de la percée se faufilent des étoiles, une myriade d’étoiles et c’est comme si le soleil revenait, comme quand les giboulées nous agressent d’un coup et puis l’instant d’après nous éclaire. Il y a comme une pause dans laquelle je franchis l’espace.
Je m’élance. De grandes foulées comme jamais je n’en ai jamais fait. Ma progression reste silencieuse, la pluie et le vent prolongent le silence. Et pourtant j’entends. J’entends, comme un écho, le cri muet qui s’échappe de son corps, mais je suis tout près à présent et mes bras l’enlacent fermement.
Fragile silhouette, ombre gracile que mon corps retient, la happe vers les lendemains. Elle est si légère.
Je vois ses larmes que la pluie balaie, et dans les gouttes qui se perdent sur son visage je lis les étoiles à l’intérieur. On titube sous la force du vent, un peu ivres de pluie et d’étoiles mais on s’ancre l’un à l’autre.
Mes doigts caressent les gouttes sur ses joues, il y a un sourire dans ses yeux, je crois bien que c’est le mien, mais le sien n’est pas loin.

Ivre de pluie et de froid

Il pleut. Ça déborde de partout. Le fleuve crée une confusion de tourbillons, creuse le fond de son lit dans des remous boueux. Le vent cinglant crache des bourrasques de pluie et j’ai froid.
J’ai froid en dedans. Froid en dehors. Mars est un mois qui annonce la renaissance, mais de cette renaissance je n’en vois pas la lumière. Mars s’affiche en grésil, fouette ma résistance.
Tout est sombre à l’intérieur, tout est sombre à l’extérieur. Ça fouette de partout, ça blesse sans cesse. Un refrain sombre et destructeur qui hante les jours et tarit les nuits.
Ça chuchote fort lorsque je circule dans les couloirs. J’ai beau tenter me fondre dans la masse, dans la foule des anonymes, il y en a toujours un qui bouscule, toujours un qui broie l’âme.
La violence du fleuve est presque rassurante, apaisante. Qui sait vers quel méandre je vais partir ? Vers quel ailleurs mon corps basculera ?

Sur le pont, l’air danse fort. J’ai le corps qui bouge sans effort. Du haut du parapet, je joue à l’acrobate, titube un peu, ivre de pluie et de froid.
Comme un écho, j’entends la peine et plus encore la déchirure du ciel qui s’abat sur moi. Je suis fatigué de lutter, fatigué de me heurter sans cesse à la violence des autres. C’est terrible comme la solitude nous happe lorsque notre âme n’est plus qu’un léger battement, un souffle qui s’épuise à retenir… quoi ? La vie ? Laissez-moi rire, la vie n’est qu’une succession de déchets qui s’abat plus fort que la pluie, arrache l’espoir et ouvre l’amertume et les blessures.J’attends que cesse la peur qui me retient. Il en faut du courage pour sauter et le courage me manque.

Comme un écho lointain une voix pleure en moi. Le prix me parait soudain trop fort. Peut-être la désespérance n’est-elle pas aussi importante que je le pensais.
Tip ! Flip ! Flac ! Tip ! Flip ! Flac ! Mars, n’en finit pas de pleurer, de laver l’hiver qui s’éloigne et je retiens encore un instant l’équilibre qui se joue de la pesanteur.

La seconde partie à lire ici : https://palettedexpressions.wordpress.com/2015/03/04/ivres-de-pluie-et-detoiles/

Ce texte a été écrit dans le cadre de : Participation jeu-concours : Mars il y a comme un écho.de Carnets paresseux https://carnetsparesseux.wordpress.com/2015/03/01/mars-il-y-a-comme-un-echo-jeu-concours/