Ce mois-ci l’agenda ironique est chez Valentyne . Pour toutes les infos sur le thème proposé, Polar(s) c’est par ici : https://lajumentverte.wordpress.com/2016/11/02/agenda-de-novembre-cest-parti/ (Avis aux amateurs : j’ai joué avec la contrainte facultative : neuf titres de polars se trouvent disséminés dans le texte.)
Il avait trouvé le post-it de couleur jaune collé sur le frigo. Celui-ci délivrait un message sibyllin : Une patience d’ange. Il avait haussé les sourcils, avait décollé le papier comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, puis l’avait repositionné à la même place. Il allait lui en falloir de la patience, ça il le reconnaissait. Surtout après une journée de boulot assez pénible.
Dans la salle de bain il ne fut guère surpris de découvrir un autre message, écrit en lettres rouges sur le miroir. D’une écriture ronde elle avait rédigé trois mots : Un lieu incertain, usant de son rouge à lèvres comme d’un crayon gras. Les points des i s’écrasaient comme des fruits trop mûrs sur la surface polie. Le tube gisait, ouvert sur le rebord du lavabo. Il ne l’avait jamais vu se servir d’un tube de rouge à lèvres autrement que pour écrire sur les miroirs. Elle avait l’art et la manière de mener ses échappées là où elle le désirait. Il soupira. Il n’aimait pas particulièrement quand elle inventait des quêtes de la sorte. Il était crevé, il avait envie d’une bière et d’un moment où il se poserait, un moment qui lui dirait que sa journée était enfin terminée, qu’il n’avait rien d’autre à faire que de ne rien faire. De plus, il n’était pas doué pour la déduction, ni la prospection. Ses aspirations étaient simples, dépourvues de mystère. Tout le contraire d’elle qui entretenait de nombreux secrets. Il cogita un instant, se fit la réflexion que le lieu dont elle parlait devait être la cave. Il s’y aventura à reculons. L’endroit était loin d’être accueillant. L’ampoule grésillait, sur le point de rendre l’âme et conférait au lieu une ambiance peu engageante. Ils y entassaient une multitude de choses qui avant de devenir insignifiantes, avaient été extraordinaires. Elle avait certainement déposé une autre indication, mais allez savoir où, dans ce bazar à peine éclairé. Brandissant la lumière de son téléphone comme une torche il avança prudemment parmi les nains de jardin qui n’avaient jamais vu un jardin et la collection de parapluies qui, quant à eux, avaient gouté trop souvent la pluie. Ses yeux scrutaient les moindres recoins, les détails insignifiants qui pouvaient devenir importants. Un vase à l’envers sur l’étagère, une boite à chapeau emplie de bouts de tissus qui s’échappaient comme une farandole jusqu’au sol, une boite de puzzle ouverte, des traces de doigts sur le vieux buffet poussiéreux. Les indices étaient nombreux. Il la soupçonna de les avoir mis en évidence pour mieux tromper sa vigilance. Il commençait à la connaître depuis le temps. Ça faisait même un sacré bout de temps, à présent. Il avait espéré, — longtemps espéré — qu’elle se lasserait après toutes ces années, mais non, bien au contraire, elle ménageait ses surprises avec une vivacité de diablesse. Un peu plus loin sur la droite, il s’avança jusqu’au canapé usé, souleva les coussins dépareillés, s’agenouilla pour examiner le dessous du divan. Ce fut en se relevant qu’il remarqua l’insolite. Un petit bout de carton coincé dans le cadre d’un tableau sur lequel elle avait grossièrement dessiné une flèche. Il considéra la direction de la flèche, — la porte de la cave par laquelle il était entré —, trouva stupide l’idée de le faire venir dans la cave pour l’amener à ressortir sans aucun indice. Il maugréa, en remontant les cinq marches, déjà las de poursuivre son investigation. L’idée l’effleura qu’il pourrait l’attendre tranquillement dans son fauteuil avec une bonne bière et la musique de Nick Drake en fond sonore et, lorsqu’elle reviendrait, (elle finirait bien par revenir) il lui dirait qu’il avait cherché longtemps avant de déclarer forfait. Il jeta un dernier coup d’œil à l’ensemble de la pièce, orienta la lumière du téléphone plus précisément vers le tableau et le bout de carton et, avec la distance, vit ce qu’il avait omis d’interpréter. La flèche indiquait bien une direction, mais elle était dirigée vers un des personnages qui composait le tableau. Un homme parmi la foule, insignifiant en quelque sorte, si ce n’est qu’il avait les deux pieds plantés dans deux cercles bleus. Ce fut comme une révélation. L’homme aux cercles bleus ! Oui, il savait où poursuivre sa prospection à présent. Soudain fébrile, il fit aussitôt demi-tour, comme s’il se prenait au jeu de l’enquête à mener, ou plus probablement, fébrile à la pensée qu’il allait en finir plus vite qu’il ne l’avait supposé. D’un pas sûr, il se dirigea vers le salon. Là, dans l’angle de la pièce, sur une stèle, se dressait une sculpture. Un bronze d’un bleu presque noir représentant un homme du désert. Effectivement sur le socle — un large cercle bleu — elle avait déposé un papier plié en deux sur lequel était écrit au marqueur : Là où dansent les morts.
Lui qui espérait en avoir fini, que la piste à suivre serait aisée, qu’il saurait enfin où la trouver, se noyait à présent dans l’incompréhension. Vers quels étranges rivages comptait-elle l’emmener ? Il avait le sentiment d’être arrivé quelque part pour découvrir qu’il n’en était rien. C’était comme l’heure trouble, des instants imparfaits qu’il s’épuisait à fuir. Il était fatigué, il lui en voulait un peu de n’en faire qu’à sa tête, de disperser ainsi un goût de cendre dans ses pensées. Il refoula son agacement, prit un temps de réflexion. A part le cimetière, il ne voyait pas trop où situer le lieu en question. Il frémit, peu enclin à s’y rendre. La nuit tombait, il trouvait son idée macabre. Il courait presque dans la rue, il avait hâte que s’achève sa recherche, il voulait la rejoindre maintenant, lui prendre la main, l’inviter à rentrer chez eux.
Ça lui faisait toujours un effet étrange, lorsqu’il la retrouvait, comme l’envol des anges dans un ciel sombre. Elle éclairait les nuits par son aptitude à ne jamais rien laisser deviner de comment serait demain. Il ne s’y habituerait pas, il imaginerait toujours des moments où se poser, sans jamais y parvenir. Peut-être parce que dès qu’il croquait son sourire il oubliait les rêves simples, ces rêves inaccessibles. Il en goûtait d’autres. Incontestablement plus généreux.
C’est génial, j’ai adoré !!!
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Merci !! 🙂
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J’ai embarqué avec lui dans la recherche, soupirant non face au récit fort bien mené mais face à cette instigatrice qui semble devoir se nourrir de mystères pour exister… Alors qu’une bonne partie de scrabble en crocs devant le journal télé, il n’y a pas mieux, clairement !!!!
Et donc, me voilà en route pour le cimetière, il fait nuit, froid, c’est humide, j’ai juste un p’tit gilet, tu ne peux décemment pas me laisser là, Laurence !!!!!!!!!!!
La suite, si elle doit être, est attendue avec gourmandise !!!
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😀 ! Tu peux faire demi-tour si tu préfères 😉
Merci pour la gourmandise, ça fait plaisir !
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Je vois que nous avons un auteur en commun ! Ton texte a de quoi pimenter une relation 🙂
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Oui, c’est bien dans ce sens que j’ai écrit ce texte ! Merci de ta lecture Monesille 🙂
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Un petit jeu bien étrange et les plus mystérieux sont bien ces personnages qui s’y prêtent.
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Oui, hein ? Quelle idée leur est passée par la tête ?
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« …Elle éclairait les nuits par son aptitude à ne jamais rien laisser deviner de comment serait demain… » Ce petit extrait relève très bien comment tu construis tes histoires. Comme dans ton livre « Lila » que j’adore. Ici, comme Carnet et d’autres, une suite et un chute serait pour moi la bienvenue. Une petit nouvelle par exemple, un peu comme un défi ouvrant la voie à d’autres pratiques difficiles nous permettant de nous extraire momentanément de nos habitudes littéraires. Au fond, ce n’est pas tellement d’obtenir une chute monumentale ou exceptionnelle, mais bien de traverser une histoire avec ton propre style. Donc, pas besoin de déployer l’imaginaire pour créer un « polar » inhabituel
Pour ne pas dire » ORIGINAl » . Et pour notre plaisir ! 🙂
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Ah ! Ah ! JM, peut-être ma marque de fabrique ! 🙂
Plus sérieusement, c’est une fin ouverte comme je les aime mais qui est difficile à mettre en mots pour contenter le lecteur. A lire tous les com qui vont dans ce sens, je me doute bien qu’elle manque de quelques petites choses pour se suffire à elle-même… Quoique… 😉
Merci JM. (A l’occasion, j’aimerai bien que tu me dises ce que tu penses de la chute de « Lila »)
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La chute est comme le livre entier, prenante, passionnée, envoûtante, vraie. Quiconque n’a pas aimé passionnément ne comprendra pas pourquoi tout se donne, s’offre et se reprend dans cette histoire qui se vit sur le fil tendu entre la pierre et l’eau. Il n’est pas possible de rester indifférent tout le long de ce que tu écris et cette chute que je viens enfin de découvrir à l’instant me bouleverse, me rend fou de rage, de colère, de peine infinie et on finit par comprendre que tout ainsi aura été vécu. Un roman qui dit le vrai ! j’ai adoré.
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Je relis ici ton com et ça fait du bien. Vraiment beaucoup de bien. L’écriture de ce roman c’est près de trois ans de travail alors un commentaire comme le tien, ça justifie tout ce temps passé à corriger, à remanier le texte, ça justifie le doute et parfois le découragement. Il témoigne aussi et surtout ton enthousiasme de lecteur et ça pour un auteur, ça n’a pas de prix. Mille mercis pour ce retour JM !
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C’est ta faute ! Mais le lecteur est aussi là pour ça. 🐌
.
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🙂
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Laurence, même si tu peux balader ton personnage en plein mystère brumeux, tu ne peux pas laisser le lecteur comme ça 🙂
la suite, la suite !!
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Peut-être que si, je peux 🙂 Je vais laisser mon personnage se balader encore un peu… on verra bien si une suite se profile.
Merci Carnets !
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J’étais cet homme, sa recherche, ses émotions…portée par ce texte surprenant à plus d’un titre; à ce propos, je ne les ai pas trouvés. 🙂
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La plupart des titres se fondent dans le texte, je les ai choisis un peu en conséquence, histoire de brouiller les pistes ! 🙂 Merci Jacou.
« Une patience d’ange » Elisabeth Georges – « Un lieu incertain » Fred Vargas – « Un peu plus loin sur la droite » Fred Vargas – « L’homme aux cercles bleus » Vargas – « Là où dansent les morts » Tony Hillerman – « Etranges rivages » Arnaldur Idradalson – « L’heure trouble » Johan Théorin – « Un goût de cendre » Elisabeth Georges – « L’envol des anges » Mikael Connely
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Voici une maniere originale de pimenter une relation ! Le detail qui m’a etonne : il apporte son telephone partout avec lui (pour moi qui oublie mon telephone partout et ne sait comment repondre aux attentes des pros, qui exigent une reponse immediate) 🙂
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Idem, j’oublie mon téléphone très souvent ! ça m’a plu d’imaginer un personnage qui adopte cet objet comme une évidence dans n’importe quelle circonstance 🙂
Merci d’avoir pris le temps de venir commenter, Sylvie.
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Cela m’a fait comprendre que ce serait une bonne idee d’avoir mon telephone en cas d’urgence (et pas seulement en cas d’urgence telephonique)
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Bonjour,
Ce texte est tout à fait étrange et suscite beaucoup d’interrogations.
Est-elle vivante ou morte? Ou les deux?…
Bonne journée,
Mo
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Ou encore l’a-t-il tuée et ne s’en souvient plus?
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Excellent ! Belle imagination, Mo !
Tu continues l’histoire ?
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Ah, voilà de belles interrogations ! J’aime bien faire travailler le lecteur 😉
Susciter plutôt qu’expliquer… Chacun amène ses propres déductions. Finalement pour un polar c’est assez à propos, non ? 🙂
Merci Mo
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Wahou quelle enquête ! A la fois inquiétante et intrigante)
Un début de roman parfait : tu écris la suite ?
Pour les titres ,J’ai reconnu deux Vargas « l’homme aux cercles bleus »et un lieu incertain » et aussi « une patience d’ange » (d’Elisabeth Georges ?)
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Merci pour l’appréciation. C’est un récit très modeste, je suis comme le personnage, je manque d’imagination concernant les intrigues policières. Ce n’est pas faute d’en lire pourtant ! 🙂 Un début de roman ? Hou là, non ! Mais j’aimerai tant savoir écrire des polars ! Bravo pour les titres. C’est bien cela. Il y en a encore un de Vargas et un aussi d’Elisabeth Georges. Les autres sont moins évidents… parce que sans doute moins connus.
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