Nos itinéraires

C’est une forêt
une forêt dense
aux contours sombres éclairée de l’intérieur
une forêt où entre les racines
se forment d’infinis chemins silencieux
et des méandres troublants
où pulse l’insolite de la vie

Comme l’on s’exile du tumulte et des discordes
j’ai saisi
entre folie et sagesse
les instants vivants
et le passage singulier
de nos manques
et de nos richesses
a fait le tour de mon monde
laissant le champ libre
aux astres
aux rêves
et aux nombreux voyages dans nos rires

L’arbre et la lune VI

Non, mes pas ne se perdent pas
dans ce que je tais
et bientôt le regard s'éclaire

la nuit forêt traversée de la mémoire des saisons

une poignée de poussière d’étoiles
dans les branches
le ciel
et la lumière des écorces

acrylique et encres sur toile

Format 20×20 cm

sans limite

Quelques notes effleurées

autour des nuits

et dans l’automne qui s’enfuit

et la brume froide et l’air piquant

on retient nos corps des hésitations

chaque pas assurant le suivant

tiens ma main

maintenant

comme je tiens la tienne

même sur nos tiges fragiles

notre existence n’a pas de limite

Agenda ironique, les textes – les votes

L’agenda ironique d’octobre s’achève aujourd’hui. Merci à toutes et tous pour votre imagination, votre humour, votre sensibilité, votre poésie. J’ai eu beaucoup de plaisir à vous lire.

Voici venu le temps de lire ou relire les textes des participants du mois et de voter pour vos trois préférés.

Vous pouvez lire La dame de onze heures , A la bonne Heure et Madame IA chez Lotharquejamais ; Une heure de plus, une heure de moins de moins chez jamadrou ; Tic-tac time is money chez Funambule sur le fil de l’écriture ; La fille qui cherchait son chien et trouva l’amour chez Filigrane ; Lettre à l’être , Le chevalier d’accueil et Lettre à l’être à la lettre chez Jobougon ; A fleur de bac, chez poLetique et tocs ; Leurres divers chez Tout l’opéra (ou presque) La déclaration chez duff john si vous souhaitez laisser un commentaire à John c’est dans les commentaires ICI ; N comme normal chez Adrienne ; Tenir l’éternité dans une heure, poésie de Rechab à lire dans les commentaires ICI ; Perte de temps chez Gibulène ; Et l’éternité dans une heure chez moi, Mes heures perdues chez Photonanie ; Une heure sans recherche de sens chez Marie-Luce, miaougraphe.

Et hors délai mais qui n’empêche pas le plaisir de lire : Leurre de trop chez Lyssamara ; L’AI d’octobre raté chez l’ardoise et la craie

Carnets paresseux s’étant proposé pour héberger l’agenda ironique en novembre, on attend avec impatience de lire ce qu’il nous a concocté pour le mois prochain 🙂

Et l’éternité dans une heure

C’est l’heure, se dit-il.

Mais il n’a pas besoin de le dire. C’est déjà perceptible dans l’air, comme une vibration légère que l’on peut cueillir en refermant ses doigts sur le temps. La sensation est à la fois étrangère et familière. Un renouveau insolite qui prend corps à ce moment-là, comme celui de tenir l’infini dans le creux de sa main. C’est à la fois démesuré, absolu, illimité. Une heure suspendue au temps.

Octobre s’ourle de bancs de brume qui voilent le ciel et pourtant la nuit est claire ; lumineuse. Le monde palpite d’aise. Il respire à la fois l’air des montagnes et celui de la mer. Les paysages se métamorphosent sous ses yeux. Il n’a aucune maîtrise sur cet instant, sauf celui de le vivre et cela monopolise tout son être.

Il peut contempler l’extraordinaire, voir le monde dans un grain de sable. Et dans ce grain, le monde s’étend à l’horizon, épouse le paysage, modèle le ciel et la terre ; l’âme des hommes libres. Il se regarde à travers l’autre et tout est autre. Les perspectives de chacun accessibles, frôlant les pensées sans s’y arrêter. L’importance est ailleurs. Dans les vallées façonnées par les cours d’eau, les lits des rivières bordés d’aulnes, dans les sous-bois fleuris de dames de onze heures. Dans le regard porté au clair-obscur, de l’ombre à la lumière.

Il avance sans hâte, dans la mousse qui tapisse le pied des arbres, respirant le parfum de la terre et celui de la pluie, guettant le balancement des fougères dans le vent d’automne. La matière se pare d’esprit, il en épouse les formes, se penche, effleure l’aube de l’univers. Il contemple le ciel d’ambre, parcourt le vent plissé d’embruns. C’est à la lisière du rêve, mais l’heure est réelle. Il respire la nuit comme on se libère. Il voit loin, où toutes entraves sont abolies. Il saisit l’amplitude du temps, le monde à portée de main et le paradis dans une fleur sauvage.

Pour l’agenda ironique d’octobre où il était question de temps et d’une heure, l’heure d’hiver qui revient en ce mois d’octobre et que l’on pouvait décliner selon son inspiration.

la symphonie de la pluie

alors que le sol aride
en quête de fragrance 
de rires et d'existence
chuchote 

sous la moiteur d'un été sans fin
et d'un ciel aux couleurs d'octobre
le fleuve en ondes d'argile
et terre fragile
patiente

c'est un chant ancien 
un air longtemps tu
perdu dans la chaleur
d'un automne caniculaire

puis
elle survient
martelant 
les jardins
la colline
la forêt
la ville
elle survient enfin

comme un souffle longtemps retenu
réinventant le chant infini
la symphonie de la pluie





Le pion

C’était une fin d’été écrasé de soleil. L’air brûlant tremblait au-dessus de la terre. Arthur, Rémi et moi nous étions donné rendez-vous sous le grand chêne. J’avais toujours été fascinée par le contraste entre l’étendue si vaste des terres alentours qui à cette saison, prenait des allures de désolation et le foisonnement impérial des branches de l’arbre. Au printemps et en été, ses feuilles caressaient le ciel et nous avec. C’était notre lieu. Un lieu assez éloigné du village, en haut d’une colline, où le monde prenait des allures d’appartenance. Ici, nous y avions vécu nombre de rires et des rêves accessibles. Nous y avions vécu l’amitié et puis un jour, l’amour.

Enfants, nous grimpions sur les larges branches de l’arbre pour nous y asseoir et tout devenait plus grand. Le ciel, l’air, la terre, le parfum des saisons. Lorsque je fermais les yeux, j’entendais le rythme de la mer dans le bruissement des feuilles. Cela donnait le sentiment d’appartenir à une multitude à la fois statique et chatouilleuse.

Je connaissais Rémi depuis l’enfance. Nous avions l’âme aventureuse, le désir de bousculer notre quotidien et à l’âge de cinq ans nous avions fondé La MLDS (Mission pour la Liberté des Doudous Sympathiques) puis à dix ans le PEAC (Petits Ecoliers Anarchistes et Créatifs). On passait notre temps à réinventer le monde. Arthur, quant à lui, était arrivé l’été de nos onze ans.

Du jour de notre rencontre ce dernier avait naturellement trouvé sa place parmi nous. Une sorte d’alter égo qui bravait les défis avec autant de désinvolture que nous. Nous ne comptions plus le nombre d’heures de colle partagées pendant nos années collège. On s’était un peu assagi en entrant au lycée, mais nos rêves restaient tangibles. Nous étions épris de liberté, d’un appétit sauvage et insatiable. Nous formions un trio à l’équilibre fort, que rien, me semblait-il, ne pouvait séparer. Les nuits où nous nous échappions de nos maisons pour nous retrouver tous les trois renforçait ce sentiment. Allongés sur la colline, les yeux levés vers le ciel éclairé de constellations, moi calée entre eux deux, nous comptions les étoiles filantes et nos vœux si semblables concrétisaient notre réalité. Leurs corps étaient chauds, avec cette fragrance d’été singulière que je n’ai jamais retrouvée depuis. Auprès d’eux mon univers s’élargissait, prenait une ampleur nouvelle. Tout me paraissait possible ; l’infini accessible.

Ce jour-là, pour une obscure raison, Arthur avait décliné mon offre de faire le trajet tous les trois jusqu’au chêne. J’avais cherché à savoir pourquoi, sans oser le lui demander franchement, d’autant qu’il freinait ses réponses. Et puis Rémi m’avait saisi la main. Il avait dit, ne t’inquiète pas, il viendra. Si Rémi s’exprimait avec assurance, Arthur se racontait avec parcimonie. C’était un garçon farouche, à l’intelligence vive, au regard fier et perdu à la fois. Sa mère était morte d’un cancer lorsqu’il avait six ans et il vivait seul avec son père. Il nous avait confié cela sans ménagement, au cours du premier été que nous avions passé ensemble, entre deux facéties et une course poursuite dans les champs. Rémi et moi étions restés sans voix, puis d’un seul élan on lui avait saisi chacun une de ses mains et on avait dévalé la pente de la colline en hurlant comme des sauvages.

Arthur avait constamment sur lui une pièce d’échec qu’il tournait souvent entre ses doigts. C’était un pion — une pièce au demeurant peu importante — qui pouvait pourtant changer à tout moment le cours d’une partie. Récemment, il m’avait dit que contrairement aux autres pièces, elle n’avait d’autre choix que celui d’aller de l’avant. Et j’entendais bien à sa voix qu’il me disait d’autres choses, sans que je sache les entendre.

Comme Rémi me l’avait assuré, Arthur vint nous retrouver. Mais il paraissait loin, son corps en retrait de nous, à l’image de son regard fermé.

– Je pars, dit-il abruptement. Mon père est muté à l’étranger. On déménage demain.

– Mais demain c’est la rentrée, dis-je sottement.

– J’ai toujours ton rapporteur, renchérit Rémi et c’était un peu comme si le fait même de ne pas le lui avoir rendu allait retarder le départ d’Arthur, voire lui donner la possibilité de rester avec nous.

– Aucune importance, répondit-il en haussant les épaules.

L’épaisseur du silence qui suivit nous surpris tous les trois. Je réprimai un frisson, fixant la ligne d’horizon sans réussir à la voir, masquée par la brume de chaleur et septembre se noyait à l’intérieur.

– Allons à la rivière, dit alors Rémi et je vis le visage d’Arthur se détendre et esquisser un sourire.

C’était une excellente idée, d’autant qu’une veille de rentrée il n’y aurait personne près du cours d’eau. C’était comme défier le temps, le ralentir un peu pour oublier l’avenir sans Arthur. Lorsque nous revinrent sous le chêne, le jour déclinait. On savait sans avoir besoin de le formuler que nous resterions ensemble jusqu’au bout de la nuit, nos corps et nos souffles mêlés avant l’apaisement du sommeil.

A l’aube, je me réveillai d’un bond et mon sursaut éveilla Rémi, allongé tout contre moi. Mon cœur battait d’une douleur sourde. Je m’assieds, mes bras cernant mes genoux, le regard dirigé vers le bas de la colline. La silhouette d’Arthur y dansait, s’éloignant jusqu’à disparaître de ma vue. C’était un premier jour de rentrée, sans saveur et sans charme.

Mais au pied du chêne Arthur avait déposé deux pièces d’échecs. Deux pions de bois poli comme celui qu’il gardait toujours sur lui. Rémi en déposa un dans ma main, garda l’autre au creux de la sienne, puis à notre tour nous descendîmes la colline. Nous aussi n’avions d’autre choix que celui d’aller de l’avant.

Pour l’agenda ironique de septembre, hébergé par Sabri Na. Il fallait raconter un souvenir de rentrée d’école au sens large et ajouter six mots : rapporteur, pion, colle, ligne, rythme et cour (ou cours ou court ou courre) et insérer la phrase suivante  : « cela donnait le sentiment d’appartenir à une multitude à la fois statique et chatouilleuse » de Véronique Ovaldé ainsi qu’un détournement de un ou plusieurs sigles qui composent ce joli jargon académique qui fait la joie des professeurs, dixit Sabri Na. 🙂

*MLDS : Mission de Lutte contre le Décrochage scolaire
*PEAC : Parcours d’éducation artistique et culturelle

 

Si vaste est le jour

Dans le souffle des branches

j’imagine traverser le vent

comme on traverse l’existence

glissant d’un lieu à l’autre

d’un lien à l’autre

encouragé par le vaste jour

et le rythme infini de la vie

acrylique et encres sur toile

format 20×40 cm

Le goût sucré du présent renouvelé.

@ Fred Hedin

Tu avais choisi le restaurant parce que son nom sonnait comme une promesse gourmande et généreuse. Dans le froid de cette nuit d’hiver, les lumières du lieu nimbaient les vitrages de rose et d’ambre et offrait une certaine intimité. A peine devinait-on les gens à l’intérieur. Je me souviens avoir pensé que même l’éclairage public patinait les murs d’une couleur cuivrée comme celle de tes cheveux. Peut-être aurions-nous dû entrer comme prévu, nous assoir et commander le menu de ton choix. Nous aurions pu, c’est certain. Nous aurions sans aucun doute apprécié le charme du lieu et les plats proposés. Tu m’avais dit ne pas vouloir rentrer tard chez toi car tu devais partir tôt le lendemain et j’entendais dans la tonalité de ta voix bien d’autres choses que l’on n’osait pas se dire. Nous aurions pu entrer, dîner et repartir chacun chez soi. Mais l’audace m’a saisi avant même de franchir le seuil du restaurant. Un élan franc teinté de sentiments épicés. Oui, la confiance m’habillait comme une seconde peau. C’était bien davantage qu’une promesse gourmande, c’était la certitude d’années généreuses avec toi. Le goût sucré du présent renouvelé.

Tu dis que je suis un vieux sentimental et ma foi, c’est fort possible. Pourtant lorsque je me penche vers toi, que ma main plonge dans ta chevelure blanche à présent, ton sourire gourmand est le même que lorsque je t’ai embrassée ce soir-là.

Une photo, quelques mots, atelier d’écriture Bric à Book n°426

Un couple sans histoire

@ Fred Hedin

Là où les pavés réfléchissent la lumière des luminaires, Damien avance. Il avance au creux de la ville qui sommeille et des rues calmes des nuits sans lune. Ce soir, Damien a quitté sa femme et sa maison. Il part sans rien d’autre que ce qu’il porte sur lui comme s’il allait revenir et rentrer chez lui. Mais pas cette fois, il le sait. D’un pas franchi il a parcouru un chemin inouï. Il part sans retour, la trouille au ventre et l’espoir titubant. Il avance le cœur battant fort, avec juste assez d’estime pour ne pas reculer. Il aura fallu bien des hésitations, des espoirs avortés pour apprendre à ne plus subir l’amour malsain de Sylvie. Il aura fallu entendre parler de ces hommes qui, comme lui, ont enduré des années de comportements toxiques pour enfin oser partir.

Qui peut prétendre connaître ce qui se vit derrière les murs des maisons. Qui peut dire les silences frappés d’hostilité qui suintent derrière les volets fermés. Les phrases assassines, les incessantes humiliations. Chut ! Il demeure des prisons affectives à l’intérieur des logis dont on se garde bien de parler.

Une photo, quelques mots, Bric à book 424

Astrolabe le crabe

Astrolabe le vieux crabe chantait. Il n’avait pourtant chanté qu’une fois Tutti Frutti de Little Richard et depuis on le réclamait partout. On traversait des pays et des mers, on venait de loin pour le voir. Des touristes affublés de tee-shirt à son effigie, des gamins tenant des peluches à son image, des filles aux tenues affriolantes, tous armés de leur téléphone pour saisir d’un flash malhabile une photo du crabe chanteur. Astrolabe s’était bien demandé pourquoi, puis avait cessé de s’interroger sur l’absurdité de la chose. « C’est le plus beau jour de ma vie » entendait-il, même si Astrolabe restait planqué sous le sable, à l’abri de la foule en délire. Il ne sortait qu’à marée montante, malgré la cohue, lorsqu’il pouvait se laisser porter par les flots.

Il n’enviait nullement la condition d’humain, l’individualisme assumé, les échanges d’aménités et autres bassesses auxquels se livraient les gens pour l’inciter à venir faire le show sur des plateaux de fruits de mer ou pire dans un Frutti di mare des plus douteux. Sous le sable, Astrolabe rêvait. Il rêvait de ciels étoilés et de jours lumineux que l’on ne voyait guère depuis des lustres. De plages et d’océan vierges de pollution. Il rêvait de choses simples qui étaient devenus terriblement compliquées depuis que les hommes s’étaient imaginés propriétaire de la planète.

Pour l'agenda ironique de janvier hébergé chez TINIAK. Ecrire un texte en 223 mots maximum et insérer 3 mots minimum ou expressions : Tutti frutti, frutti di mare, marée, dentier de, crabe, crabouille, "ouille la là !" amen, aménité, "ite missa est !" 

Sur les murs tapissés de fleurs

© Fred Hedin

On a franchi le seuil du squat sans rien dire et, comme pour marquer notre passage, nos godasses ont laissé des traces de boue mêlées de neige sur le plancher. Le premier jour de l’année traverse la fenêtre et emplit la pièce d’une lumière blanche perçante, presque immaculée. Comme avant, le salpêtre imprègne les murs et sous l’humidité le plafond s’écaille sans fin. A l’inverse, malgré l’absence et le silence, le lieu possède encore une présence écrasante. Il y a les voix et les rires, la musique, les bouteilles qui s’entrechoquent, le crack, la beuh. Anna qui danse avec Jérémie. Eloïse qui n’ose rien avant d’avoir trop bu, toi qui bats la mesure sur ton djembé et les autres, ceux de passage, ceux qui repartent alors que l’on reste tous les cinq, soudés comme les doigts de la main. Anna insistait sur cela, c’était nous contre le reste du monde. La famille que nous avions choisie. Un abri à l’intérieur d’un refuge. A l’image du squat, nous étions un peu fêlés, cassés, fragilisés par des vies dissolues dont on ne parlait pas. On ne refaisait pas le monde, non, on survivait et c’était déjà une victoire en soi. Une année de plus de franchie, disait Héloïse comme si l’idée d’avoir davantage n’était pas envisageable.

Je ne sais pas ce qui me pousse à revenir tous les ans. Toi, tu parles de pèlerinage à la con et je ne relève pas le ton légèrement moqueur que tu prends parce que tu m’accompagnes à chaque fois. Sur les murs tapissés de fleurs, j’entends ricocher le rire d’Eloïse, la voix grave de Jérémie, je retrouve ici le sourire d’Anna. Ne pleure pas, chuchotes-tu en chassant tes propres larmes de tes yeux.

A défaut de pierres tombales, à défaut de lieu où nous recueillir, il reste cet appart figé dans le temps, où, comme une blague foireuse, la banderole porte encore pour épitaphe « bonne année ».

Une photo, quelques mots. Bric à Book #423

Faire silence


comme les forces déséquilibrées des hommes 
les hommes aux priorités douteuses
qui se tourmentent se mentent
pèsent sans complaisance
sur le poids des peines du monde 
Les lumières vacillent 

tu te demandes 
où se situe ta priorité
et la lumière
dans tout cela
flamme fragile
c’est toi qui vacilles
tu t’éloignes 
tu écoutes tout bas 
les murmures de l’hiver
qui jonglent entre pluie et soleil
et tant pis si les autres s’imaginent 
que c’est plus facile 
il faut de la constance pour écouter l’âme de la Terre
et faire silence

C’était l’heure après le souper, avant de rejoindre le dortoir.

@yerson Retamal

De ses doigts flétris, Paula caresse la couverture du livre qu’elle tient entre les mains. Elle sait le temps qui passe et qui n’attend personne. Et de ce temps qu’il lui reste, elle lit. Et relit parfois ce livre à la couverture usée et maintes fois lu qui l’accompagne depuis si longtemps que les pages ont jauni.

A l’école secondaire Sainte Marie où étudiait Paula, les distractions étaient rares. Les journées consacrées à apprendre à tenir une maison occupaient les jeunes filles, de l’aube au crépuscule. Il y avait cependant cette heure particulière où les élèves s’initiaient à la couture et au point de croix. Une heure studieuse et exaltée, suspendue à la lumière tamisée des lampes à pétrole et à la voix de sœur Bénédicte. C’était l’heure après le souper, avant de rejoindre le dortoir. Une heure qui avait le goût des oranges en hiver, la douceur des sablés à la cannelle et la saveur du gingembre confit. Paula se souvient de la fébrilité qui habitait ses consœurs et elle-même lorsque sœur Bénédicte s’asseyait sur la chaise face à elles. Le dos bien droit contre le dossier de bois, le livre entre ses mains, sœur Bénédicte attendait que le silence se fît. Les chuchotements des élèves s’atténuaient, leur attention focalisée sur la religieuse qui ouvrait le livre. Avant de commencer la lecture, sœur Bénédicte vérifiait toutefois que les jeunes filles se remettaient bien à l’ouvrage, ce qu’elles s’empressaient de faire. L’oisiveté n’avait pas sa place en ces lieux et c’était sous cette condition qu’elles pouvaient entendre la suite des aventures de Sir Percy Blakerney, alias le « Mouron Rouge ».

Il revenait à sœur Bénédicte de choisir le livre et elle prenait grand soin de favoriser ce héros de légende insaisissable, galant, amoureux et invincible. Sous la tonalité de la voix de la religieuse, – tantôt tragique, tantôt légère, les personnages prenaient vie avec tant de réalisme que Paula s’interrogeait sur le choix qu’avait fait sœur Bénédicte d’entrer dans les ordres. Peut-être, celui de lui donner goût à la lecture, avait-elle réalisé des années plus tard.

La nuit venue, dans le dortoir, les jeunes filles rêvaient alors, et il se disait que sœur Bénédicte, rêvait aussi.

Bric à Book : Une photo, quelques mots #421

Le Mouron Rouge de la Baronne Orczy (1865-1947)

L’élan heureux des simples qui savent vivre

A l’éloignement des origines
aux heures qui tremblent 
et ébranlent les cœurs flottants 
l’esprit aveugle et sourd
en rupture de connaissance

En réponse aux maux qui défient l’essentiel

Il faudra dire les silences évidents
la pulsation de la terre et la sève 
et le profond soupir de la mer 

l’horizon nivelé de bleu
la profondeur des arbres nus dans le ciel pâle
et l’hiver hésitant à accoucher la saison
ils racontent les rives du temps
les gestes du monde 
le battement ivre du vent
les cycles de l’existence
l’élan heureux des simples qui savent vivre

Les rêveurs

Dans la trajectoire sans fin des galaxies
les corps endormis bercent les rêveurs
Et malgré l’oubli de leurs racines
eux qui ne sont pas de ce monde
mais bien rebelles en ce monde
y entendent et voient
la richesse des gestes aimés
toute déraison sensée
la danse lente du chant des âmes
les couleurs et les mots poétiques
du cœur des hommes

Ils respirent l’instant animé de la terre
toutes variations expressives et tenaces du vivant
et face aux affronts qu'ils subissent 
portent en eux la présence folle de leur résistance

L’écharpe inattendue

Pour les neuf ans de ce blog, voici un récit écrit il y a quelques années, toujours de circonstance en ce mois de décembre. Bonne lecture.

Quand Fabien sortit de chez lui à l’aube d’un matin gris de novembre, un brouillard dense enveloppait la ville comme une ouate. Les sons assourdis et la lumière pâle du jour convergeaient à l’intérieur. La sensation était plutôt agréable, Fabien avait l’impression de flotter lui-même dans un espace ample, dénué d’inquiétude. Il avançait sur la partie gauche de la route, celle où durant l’été les arbres prolongent l’ombre au-dessus des bancs qui bordent le parc. L’éclairage des lampadaires trouait la brume de halos ordonnés et semblait se mouvoir comme une symétrie urbaine aux repères cadencés. Le froid et l’humidité imprégnaient l’air. Fabien enroula autour de son cou l’écharpe qu’il portait dès les premiers frimas. L’écharpe unie, de couleur safran au tissage serré, était douce au toucher. Longue et de belle largeur. Elle avait un petit accroc près de la couture du bas. Fabien n’avait jamais cherché à le recoudre. Au contraire le savoir là, lui offrait le souvenir d’un incident particulier, une résurgence avec mots, odeurs et sensations livrés en vrac.  Et, de temps à autre, il y replongeait comme une main dans un sachet de bonbons anticipant le plaisir de la gourmandise.

A cette époque il dormait près de la gare, entre les poubelles de l’hôtel de la Gare et celles du restaurant qui portaient le même nom. Un renfoncement dans le mur lui donnait une impression de protection et surtout de réconfort grâce à la climatisation de l’hôtel fixée de l’autre côté du mur qui lui apportait un semblant de chauffage. Il y logeait avec plus ou moins d’aisance son grand corps recroquevillé dans ses vêtements trop lâches. Quel que soit le temps et la saison, il avait pourtant froid. Il arrivait toutefois à dormir par intermittence quelques heures, baignant dans l’état intranquille de l’agitation ambiante. La nuit révélait la fureur fauve des êtres. A ces heures, la violence, les cris, l’impatience, la démesure redoublaient d’intensité et de peur. Malgré tout, il restait impavide, comme coupé du monde. S’il tenait à ce petit coin de mur c’était aussi parce que certains matins, il trouvait à son réveil, une bouteille d’eau, une baguette de pain, un fruit posés près de lui, et certains jours, une viennoiserie. Une fois, il avait même eu droit à un baba au rhum.

Il ignora tout de son mystérieux et discret donateur jusqu’à cette nuit particulièrement glaciale où réveillé par une pression sur son épaule il leva les yeux sur un jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Le visage émacié sur un regard d’une humanité rare, le sourire indécis, il semblait penaud de l’avoir réveillé. Il portait un manteau entrouvert sur une tenue de serveur et tenait à la main une pochette de papier cadeau froissé. Il tendit le paquet à Fabien, avant de partir comme un voleur « C’est pour vous » dit-il, déjà loin.


			

L’Arbre XXIII

Acrylique, encres couleur sur papier

Format 30 x 30 cm

Peindre est actuellement compliqué. Pourtant je grapille quelques heures pour tracer des arbres dans l’univers et sur la planète avec toujours ce projet de livre sur ces arbres qui peuplent ma tête. Le projet s’affine, les choix de ce que je souhaite présenter aussi. Mais c’est un projet de longue haleine et avec lui j’apprends une nouvelle forme de patience. Celle de ne pas brusquer les choses afin de donner corps à mes idées de la meilleure façon qui soit. Le livre sera un recueil de peintures d’arbres et de mots poétiques, un livre que l’on emporte avec soi, à lire ou feuilleter partout où bon vous semble. Il va demander encore quelques mois de réflexion avant sa finalité et c’est bien ainsi.

Et parce que je fourmille de projets, je travaille également sur les dernières corrections de mon roman d’anticipation. Après beaucoup de questionnements et d’hésitations, je fais le choix de l’autoédition. C’est un défi, un enjeu personnel également qui me demandent beaucoup de disponibilité et de temps. C’est, à la fois, passionnant et angoissant. Un saut dans le vide exaltant, en quelque sorte. La vie.

L’homme et la mer

Alors que tu longes la mer comme on rêve l’apaisement ; en bordure de dunes, les oyats, les chardons, les liserons tanguent sous la brise et annoncent les premiers signes de l’apesanteur. L’intranquillité devient sans horizon, loin de toute flottaison. Tu t’enracines dans le sable au milieu des coquillages et le balancement lent des vagues murmure ce parfum piquant et iodé du sable humide. C’est une musique. Celle qui se lit sans bruit et berce le temps du littoral. Une mélodie. Peut-être naissante ou saisie sur le vif du vent levant. Une bouffée d’enfance qui surgit et que tu laisses partir. Tu ne retiens rien. Seul ton cœur qui bat lent et tranquille.